En ce milieu d'après-midi, Grage arrive devant la demeure de Kentarrak.

« C’est une information bonne à entendre qui peut m’éviter des ennuis en ce lieu. Puis-je en déduire que ce lieu est une de leur tanière ? »

Répond le Léodra curieux avec un soupçon de déception.

Afriz répond alors de sa voix mentale :

"C'est plus que probable. D'après mes sources, plusieurs familles de Mashras vivent dans cet hostel et y travaillent. Ceci leur fait une bonne couverture. Les jeunes Mashras de ces familles y seraient formés à se rapprocher de leur Totem. J'imagine qu'ils n'y parviennent pas tous, même si on peut supposer qu'un Shaloar a des affinités naturelles avec Fauve...

Tu commences à prendre l'habitude de vérifier tes informations et tes hypothèses, Grage. C'est une bonne chose."

« Faut pas que je grandisse trop vite non plus. Je ne vais pas gâcher ma jeunesse à penser comme un vieux. »

Répond le noiraud amusé par sa réflexion.

« As-tu des informations sur les traditions Mashra ? Surtout pour le mariage. Hormis le fait de s’unir pour le meilleur et surtout, le pire, car un male Mashra ne peut valoir un Léodra, que se passe t’il en cas de tromperie ? »

Afriz répond du tac au tac :

"Et à ne pas réfléchir, tu ne vas pas gâcher ta jeunesse mais tu vas sûrement l'écourter. Comme ta vie. A toi de choisir si tu préfères une vie courte et intense ou une vie longue et mesurée. Sachant que faire le premier choix est généralement égoïste.

Et pour répondre à ta question, non, je ne connais pas les traditions Mashras. Ils sont très protecteurs en ce qui concerne la famille et la vie privée. Et j'avoue que découvrir leurs traditions est loin de mes priorités.

Donc je n'ai pas de réponses fiables à ta dernière question."

« Ah… dommage. »

Répond le noiraud un peu déçu par la teneur de la réponse à sa question.

« A moins que toi tu es des questions à ton tour, je te laisse te rendormir. »

Afriz réprime un nouveau bâillement puis répond :

"Oui, j'ai une question. Par acquis de conscience...

Que sais-tu, Grage, de Kryss Caranos et de la famille Sarzano ?"

"Pas grand-chose à vrai dire."

répond le Léodra de façon détachée

"Kryss Caranos est un multiple champion de l’arène que l’on dit être sorcier, maintenant contre maitre chez les Sarzanno.
La Famille Sarzano, ancienne et puissante,  est en perte de vitesse au profit de la famille Hirzaoui. Les routes, les bêtes sauvages sont leurs principales activités. Mais peut-être que les pesantes matriarches favorisent l’émancipation des Hirzaoui et, les Hirzaoui sont possiblement impliqués dans mon affaire en cours. Saugrenue mais plausible.
J’en sais pas plus."

La voix mentale demande alors tranquillement :

"Et en savoir aussi peu pour décider de la suite te convient, Grage ?"

Pour moi oui.

Répond le noiraud sur le ton de l’évidence. Prenant le temps d’une respiration qui ressemble plus à un souffle d’agacement, le ton de la réponse affiche clairement une pointe d’agacement.

Je ne me suis pas posé 1000 questions avant de défendre la cité. J’ai combattu. Si je me pose trop de question, je ne combats plus, j’avance plus.

Tu as remarqué à quel point une question peut en amener une autre. Encore faut il être en mesure d’obtenir des réponses et capable de discerner le vrai du faux. Ce qui n’est pas mon cas. Je suis tout sauf doué pour me fondre dans cette masse populaire et obtenir des réponses, les analyser les décortiquer. Et les informateurs fiables comme toi ou Kentarrak sont rares. Les autres essayent toujours d’avoir le dessus, de te mener par le bout du museau, ou juste te rabaisser.

Le guerrier s’emballe un peu plus dans ses propos et est en train de vider un sac de trop plein.

Si tu veux à nouveau pointer mon manque d’éducation, mon manque de souvenirs, mon manque de connaissances, ou mon manque de curiosité dans la réflexion, c’est pour moi un moyen de me protéger des autres, ou de les protéger de moi. J’ai choisi d’aider une gamine qui, pour moi, le mérite, alors j’y vais comme je peux.

Maintenant, si tu veux me faire un cours sur tout ce que je ne sais pas, autant que je rentre maintenant parce que ça risque d’être long. Voila, c’est ça que tu voulais entendre. Encore la faiblesse du Grage qui sait pas, qui comprend pas, ce grand noiraud tout juste bon à se battre. Est-ce que je me suis posé une question quand j’ai sauvé ton fils ? Non, j’ai foncé pour ce qui me semblait être bon sur l’instant. Peut-être que les ces imbéciles maintenant morts étaient père de famille, peut-être que leur femme était retenue en otage comme objet de chantage afin de les forcer à remplir une besogne, ou tout simplement plus fort que moi ?? Non, pas de question. De l’action ! Et si c’était à refaire, je le referais sans hésiter car ce jour est celui de notre rencontre et j’en suis heureux !

Et si je développe ma réflexion plus que mes muscles, ma tête ne va pas survivre longtemps. Parce que dans ce monde ou la mère de tout souffre, ceux qui la piétinent sont majoritairement des ignorants pire que moi, et c’est peu dire, qui cherchent à pisser plus loin que l’autres, sans se rendre compte que l’acide qui nous tombe sur la gueule n’est autre que l’urine de nos ennemis qui ricane bien pendant ce temps la.

Et moi dans tout ça, si j’ai envie d’aider cette foutue gamine qui me méprise, c’est mon choix. Ca va pas changer grand-chose, voir pire. Et même chez les shaloars, avant de parler, faut respecter des protocoles, faut s’essayer les pieds avant d’entrer, faut montrer sa force à tout bout de champs. Même avec des femelles Léodra, la seule relation que je vois est une relation de rivalité, de force, de conflit ou de mépris. J’ai déjà été obligé de les affronter en combat parce qu'elle me reconnaissait pas !!! Tu te rends comptes. J’aurais pu les tuer. Mes premières femelles !!! Et que se passera t'il à la prochaine amnésie ?

Le noiraud ne peut contenir un grondement mental comme physique pour balayer ce souvenir.

Et merde ! Tiens. Je ferais bien de méditer un peu. Désolé, tu n’y es pour rien si je suis stupide.

La présence mentale d'Afriz ne bronche pas et laisse le jeune Shaloar épancher sa colère. Il laisse s'écouler quelques instants de silence avant de répondre de sa voix calme et patiente :

"Il y a en effet un temps pour la réflexion et un temps pour l'action. Je pense que tu as déjà remarqué que notre Ordre ne passait pas son temps à uniquement se poser des questions. Pour avoir des réponses, il faut agir.

Parfois la situation ne laisse pas le temps de réfléchir et alors il faut agir promptement. Il faut alors être prêt à assumer les conséquences si les actes choisis ne font qu'empirer la situation. Je sais que tu as la compassion et le sens du devoir, Grage. Il ne te manque que la pondération. Il faut savoir réfléchir, évaluer quand l'occasion est donnée. Et savoir demander conseil est le premier pas vers la sagesse.

Tu as avec raison signalé qu'il était difficile d'avoir des informations fiables, et que j'étais l'une des personnes qui peut t'en apporter. En effet. Je suis l'un des trois maîtres d'un Ordre dédié à la collecte d'informations. Je suis donc l'un des individus les mieux informés des terres connues.

Alors ? Pourquoi ne pas me demander les informations qui te manquent ?

L'instinct est un bon conseiller pour le futur immédiat. Mais il peut conduire à de terribles erreurs sur le long terme.

Je m'inquiète pour toi, Grage, et je ne souhaite pas que tu sois l'artisan de ta propre perte."

La voix mentale se tait ensuite.

Grommelant d’une mauvaiseté envers lui-même, le noiraud reprend avouant avec difficultés ses propres faiblesses.

"Je suis paumé dans tout ça. Voila ! Ils ont tous ce qu’il faut pour m’attraper, et ils s’y prennent comme des manches. Quand à disposer de plus d’informations, même fiables, je n’en vois pas l’utilité.

Me présenter auprès des maîtres des routes peut m’attirer leur foudre. Ils ne sont pas censé apprécier qu’un illustre inconnu, même en éclaireur dragon que je suis, viennent se mêler de leur affaire. Ils vont forcement se méfier et en plus d’une famille sur le dos, je peux me retrouver avec une organisation suspicieuse qui va vouloir en savoir plus, avec d’éventuelles répercussions sur notre ordre. Tout comme cela pourrait nous être bénéfique. Juste leur faire passer le message que la fille de Jeremiah Parecos est en sécurité peut être bien perçu s'ils ont confiance. Surtout que je n’ai pas lieu de m’attarder.

Les Sarzano, Kryss Caranos, je ne vois pas l’utilité d’en savoir plus sur eux... A vrai, ce n’est pas vraiment une question d’utilité. Avoir des informations, c’est nécessaire voir vitale dans certaines situations. Encore faut-il savoir les exploiter ces informations. Je suis loin d’exceller en la matière. "

La voix mentale se fait compréhensive et rassurante :

"Grage, il est normal de se sentir perdu dans ta situation. Perdre la mémoire est déstabilisant. Nous, Éclaireurs-Dragons, savons qu'il existe plusieurs méthodes pour effacer la mémoire, qui ont déjà été utilisées par des ennemis variés. Hélas, nous n'en connaissons pas pour la ramener. Alors nous nous préparons au fait de perdre notre mémoire et nous utilisons comme parade la rédaction de journaux. Peut-être pourrais-tu en tenir un, que tu laisserais à Fort-Braise pour le garder en sûreté ?

Tu dis que tu n'excelles pas dans l'exploitation des informations, mais ce n'est pas mon opinion. Tu es encore jeune et tu peux apprendre. Tu sais utiliser ta cervelle, mais tu aimes seulement te laisser aller à la facilité. Comme n'importe qui. Il est plus facile de foncer et de voir ce qu'il se passe que de chercher à anticiper.

Quand on est perdu, la meilleure solution n'est pas de foncer au hasard mais d'essayer de retrouver sa voie. Quand on n'a pas de passé, on peut tout de même choisir son avenir.

Alors, médite à ton avenir, Grage. Trouve ce que tu souhaites pour ton futur. Et retrouve ta voie."

Grage part dans un franc rire, envoyant l’image mentale d’un massif noiraud se prêtant à l’exercice d’écriture, assis à une table, grimaçant et tirant la langue pour former de belle lettre à la lueur d’un cristal.

« Ecrire ma mémoire, ca risque d’être long même si elle est courte.»

Puis, reprenant plus sérieusement

« Concernant la situation actuelle et au regard des informations que tu m’as communiquées, la seule chose que j’ai envie de faire est d’informer l’ordre des maîtres des routes que la fille de Jeremiah Parécos est en sécurité, rien de plus. Si comme tu le dis, c’est un ordre solidaire, je pense qu’ils apprécieront une démarche neutre et dénuée d’intérêt. J’offre la possibilité à Jeremiah Parécos, s’il est en vie, de la retrouver quand il le souhaitera. Si je me fourvoie, dis le moi avant que j’y aille.

Ensuite, je n’ai pas envie de m’attarder à Tradisgantia. Seul, je suis vulnérable face à la famille Sarzano et je suis convaincu que les personnes qui me veulent vont s’organiser différemment pour me capturer. Je mise que les organisateurs de ma capture, ne disposant pas de tous les moyens de cette famille, vont avoir besoin d’un peu de temps pour les préparatifs car leur opération doit rester discrète. Qu’en penses-tu ? »

Le solitaire reprend subitement la parole mentale avant qu'Afriz ne puisse répondre

« Et toi qui voulait me donner de plus amples informations. Si tu en as d’autres qui peuvent m’être utiles, je suis prêt à les entendre. »

Afriz laisse son élève s'exprimer et observe un court silence avant de répondre. De sa voix mentale calme, il explique donc :

"Les Maitres des Routes sont restés neutres malgré les multiples offres pourtant très généreuses des différentes grandes familles marchandes. Cela montre qu'ils ne sont pas motivés uniquement par la cupidité. Et qu'ils souhaitent conserver leur liberté dans leurs choix d'activités. La conséquence de leur indépendance est qu'ils ne sont pas protégés contre le courroux individuel des notables. Dans ce contexte, la solidarité est une condition de survie. Et donc la protection de leurs familles aussi. Je suis donc convaincu que si Jérémiah Parécos n'est pas déjà en contact avec eux, ils sont activement à sa recherche. Avoir des nouvelles confirmées de Kajira sera donc important pour eux. Et leur entente avec notre Ordre me semble suffisamment significative et profitable pour qu'ils ne tentent pas de t'agresser s'ils savent que tu en fais partie.

Pour ce qui est de celui, celle ou ceux qui veulent te capturer, nous en savons trop peu sur leurs moyens et leurs limites. Ne présume donc pas de leurs possibilités. Pour tes hypothèses, envisage tous les cas de figure, dont le pire.

Enfin, je peux te parler un peu plus de Kryss Caranos. En son jeune temps de gladiateur, il ne souhaitait que la gloire. C'est pour cela qu'il s'est intéressé aux sombres arts de la sorcellerie pour encore améliorer sa virtuosité au combat. Mais plus ses prouesses combatives augmentaient, plus il comprenait que la gloire était éphémère et qu'il fallait sans cesse l'entretenir par des hauts-faits de plus en plus extravagants. Après une dizaine d'années de combats d'arène, il comprit qu'il n'aurait aucun avenir dans cette voie : il finirait par ne plus pouvoir progresser et en viendrait même à régresser avec l'âge. Il s'intéressa alors au pouvoir. Il n'était qu'un roturier de basse extraction, avec un don pour le combat. Il quitta les arènes et devint un élève de Zotafras Tariakeros. Après plus d'une décennie, sa gloire était presque totalement oubliée. Il alla rencontrer les différentes grandes familles marchandes et demanda à chacune de l'intégrer dans ses rangs. Toutes répondirent qu'elles acceptaient uniquement de l'engager, sauf les Sarzano. Fabrizio Sarzano l'accepta au sein de sa famille, mais au plus bas rang, en lui indiquant qu'il pourrait progresser par le mérite. Depuis, Kryss a gravi deux échelons. Et ces derniers temps, d'après des informations qui datent d'un peu moins de deux mois, il est affecté à la protection d'un petit-neveu de Fabrizio, le jeune Nicolo. Nous pouvons estimer que Kryss Caranos recherche principalement le prestige, le statut social, et que le pouvoir n'est pour lui qu'un moyen et non une fin en soi. Ce qui fait de lui un sorcier plus avisé et tempéré que la plupart.

Je pense que ces informations peuvent t'être utiles."

Ouais… Marmonne le Léodra réflexif.

Concernant Kryss Caranos, je n’entends rien qui puisse expliquer les faibles moyens utilisés à mon égard. Surtout s’il est avisé et tempéré. Il doit être conscient du potentiel de ceux qui mérite le titre de sauveur de la cité. Je n’ai pas envie d’émettre des théories à son sujet. Mais je gage que soit il ne voulait pas contribuer à ma capture, soit il ne voulait pas procéder de cette façon pour le faire, d'ou son agacement. Si je dois me préparer au pire, alors je dois me préparer à de la sorcellerie si cet ancien gladiateur est de nouveau chargé de ma capture.

Je vais donc rester sur mes projections. Concernant Kajira, transmettre l’information aux maîtres des routes peut s’avérer bénéfique en me libérant du fardeau que cette petite peste d’humaine fait peser sur moi. Reste encore une question à son sujet. Elle a le potentiel pour éveiller les pierres endormies. Si son père veut la récupérer, quelle est la conduite à tenir ?

La voix mentale répond sans attendre :

"Si tu souhaites quitter rapidement la ville, je te conseille de profiter de la nuit encore présente pour te rendre à la Taverne du Vieux Bourricot. La gargotte reste ouverte et active jusqu'à l'aube. Après ton entrevue avec les Maîtres de la Route, le mieux serait de quitter la ville sans passer par les portes, toujours de nuit. Si l'entrevue prend trop de temps et que tu dépasses l'aube, essaie de sortir dissimulé. Par exemple, à l'intérieur d'un chariot bâché ou d'une caisse.

Pour Kajira, elle est en âge de décider de son sort. Nous ne connaissons pas quelles relations elle a avec son père. Si elle souhaite le rejoindre, nous la laisserons aller. Si elle souhaite rester à l'écart, nous la protègerons. Même de son père, s'il le faut.

Et si Kajira décide de ne plus nous assister dans l'éveil des pierres, il nous restera à essayer de convaincre les Kirittis de nous aider."

"Je vais me rendre à la taverne du bourricot maintenant. Plus je traîne moins c’est bon."

Pendant qu’il s’exprime, le Léodra commence à préparer ses affaires rapidement. Afriz peut sentir la détermination du noiraud reprendre le dessus.

"Je tiens informé dès que la rencontre avec les maîtres des routes est terminée. As-tu d’autres choses à rajouter ?"

Avec un ton amusé, la voix mentale d'Afriz répond :

"Et bien... je ne sais pas comment c'est censé se passer entre mâles et femelles Léodra mais j'ai une certaine expérience de la vie en couple. J'ai même eu des enfants.

Alors, si tu le souhaites, nous pouvons discuter un jour sur le sujet. Mais il sera mieux de le faire en direct, face à face.

Je te souhaite bonne chance. J'attends de tes nouvelles."

La détermination du noiraud ne vacille pas malgré le sujet abordé par son ami. Continuant à préparer ses affaires, le noiraud reprend calmement.

"Tu as surtout envie de parfaire tes connaissances en la matière. Une vie de couple n’est pas comparable à ce que vie Kentarrak. Je ne l’envie pas. Le devoir du Léodra passe par la préservation de la race à ce que j’en comprends. Les males sont rares. Nos femelles sont facilement irritables. Cela m’attire plus que ça ne me plait.

Je suis un survivant. Je peux résister à ce destin. Priver le monde de ma nombreuse descendance serait une perte. Je me dois de faire un choix."

Le jeunot s’exprime avec détachement, intellectualisant la situation pour ne pas vaciller dans l’émotionnel.

"A bientôt mon ami"

Sur ces dernières paroles, le guerrier ajuste son bardât en trois sacs. Ses effets personnels dans son sac à dos de voyage avec quelques potions. Un autre sacs de potions, réduit au minimum avec quelques vêtements des brigands pour les protéger sera placé sur le torse. Le troisième sac est tenue dans l’une des mains et pourra servir de masse en cas de surprise.

Une fois prêt, le guerrier retire sa dernière épée qui bloquait la porte pour la ranger, prend la clef et ouvre la porte, les sens à l’affut.

Si rien ne le dérange, alors le solitaire descend les escaliers pour se rendre au comptoir.

Lorsque Grage sort de sa chambre, il repère aussitôt le Mashra de faction dans le couloir. Le pelage fauve tacheté, revêtu d'une armure de cuir esthétiquement ouvragée, il ne porte aucune arme apparente. Il salue le Léodra d'un hochement de tête puis le suit vers l'escalier en restant à plus de cinq bons mètres. Quand Grage descend l'escalier, le Mashra ne le suit pas, restant à surveiller depuis le palier.

En bas, au rez-de-chaussée, le jeune homme-lion découvre derrière le comptoir un autre Mashra en armure de cuir toute aussi travaillée, plus massif et large d'épaules que son confrère de l'étage. Lui aussi fauve et tacheté.

L’homme lion rend le salut au mashra de faction dans le couloir d’un signe bref et martial de la tête. Descendant les escaliers, le noiraud s’imprègne du silence feutré, des odeurs du lieu avant son départ.

Une fois en bas des escaliers, le Léodra ne fera que poser la clef sur le comptoir, faisant le moins de bruit possible, s’apprêtant à se diriger vers la sortie si aucune consignes particulières ne lui sont communiquées.

Sitôt la clé posée sur le comptoir, le Mashra musclé se frappe vivement la gauche de la poitrine du poing droit. Tout en disant à un volume modéré mais déterminé :

"Force et honneur !"

Puis il ajoute :

"Que la nuit soit propice à ta chasse, Sauveur de la Cité."

Et il s'incline respectueusement vers Grage. Ensuite il rangera la clé et ne dira pas un mot de plus. Il se pressera d'un pas rapide et souple de rejoindre la porte de sortie et la déverrouillera. Il tiendra ensuite la porte le temps que le jeune et massif Léodra sorte. La porte est refermée et verrouillée juste derrière lui.

Le Shaloar au pelage noir se retrouve alors dans une rue éclairée par des torches surélevées. Il est possible d'entendre irrégulièrement des rires ou des vociférations éloignés. La vie nocturne est abondante à Tradisgantia.

Comme à l’accoutumé, Grage rend le salut d’un signe martial de la tête, cherchant dans sa mémoire à quoi peut bien correspondre cette citation: 'Force et honneur'. Dans l’hôtel, et pendant que le veilleur le précède pour ouvrir la porte, le noiraud ferme les yeux pour ressentir la présence éventuelle de guerriers spirituels proche dans les environs.

Une fois à l’extérieur, le noiraud commence par un panoramique de ses sens pendant que la porte se ferme derrière lui. Sans perdre de temps, le pas est engagé à destination du quartier des indépendants. Vigilant, le solitaire emprunte les routes qui facilitent ses perceptions au cas ou quelqu'un voudrait lui filer le train.

Pour atteindre la taverne du bourricot, l’itinéraire choisi évite le comptoir des Maîtres des Routes, au cas ou celui çi serait sous surveillance des familles. Plus il approche du tripot, situé dans un quartier mal famé, plus la vigilance se porte sur l’environnement global qu'une potentielle filature. Le pas est martial, déterminé et rapide, surtout pour un humain.

Grage a déjà entendu cette citation de la gueule d'autres Shaloars, principalement de Mashras. Il n'en sait rien de plus. Quand l'homme-lion cherche les guerriers spirituels, il en détecte six. Tous situés dans le même bâtiment et tous dévoués au Fauve. Parmi eux, il y a le Mashra qui lui ouvre la porte. Et celui qui se trouve dans le couloir du premier étage.

Le périple du massif Léodra est rapide et sans encombre. Il croise parfois de petits groupes avinés et chantants. Les tire-laines n'osent pas approcher un guerrier de sa stature. Grage repère fréquemment des malandrins postés dans les ruelles sombres mais ceux-ci préfèrent s'éloigner à l'approche du Shaloar. A aucun moment, une filature n'est repérée. Le rythme de marche soutenu de l’Éclaireur-Dragon ne pourrait être suivi que par le pas de course d'humains normaux.

Et ainsi Grage en vient à chercher dans des rues non éclairées et finit remarquer dans l'obscurité l'enseigne en forme d'âne assis aux oreilles couchées qui se balance au bout de ses courtes chaines rouillées avec les rares sautes de vent. Un simple humain n'a aucune chance de la repérer autrement que par ses grincements s'il n'amène pas avec lui une source de lumière. Sous l'enseigne se trouve une épaisse porte de bois fissurée et rafistolée avec des planches. Aucune fenêtre ne permet de regarder ce qu'il se passe à l'intérieur. En écoutant attentivement, un peu de brouhaha dû à des conversations à voix basse peut être décelé. La rue dans laquelle se trouve le Shaloar empeste l'urine, les excréments et le vomi. Sa nyctalopie lui a permis d'éviter de mettre les pieds dans des matières peu ragoutantes.