La nuit commencée, Grage revient au sein du quartier...

L'ancien Mashra du centre est le premier à répondre, ne laissant cette fois que peu de temps d'attente :

"N'étant pas un enfant du Clan, tu n'as pas à connaitre ces devoirs."

La parole est aussitôt récupérée par l'ancien situé à gauche :

"Il vous faut bien comprendre que ces devoirs sont enseignés au cours de la croissance de chaque Mashra et de chaque Mashrani. Ces devoirs sont nombreux et constituent la fondation de la culture Mashra. Comme ils font partie des savoirs de Clan, il vous faudrait faire partie de notre Clan pour y avoir accès.

Mais vous n'avez pas répondu à mes questions. Est-ce délibéré ?"

L'invité ne cache pas la frustation de la non satisfaction de sa curiosité. Aussi, c'est avec vif sérieux qu'une réponse se fait entendre, chaque phrase sifflant comme le tranchant d'une épée qui fent l'air.

" J'ai déjà répondu sur la nature du mérite !
Je n'ai pas parlé de comparaison, mais d'estimation !
Je n'ai pas choisi le mépris, c'est ce que je reçois ! "

Suite à ces propos, le sauveur dresse le torse dignement et croise les bras, regardant avec mécontentement le dernier des anciens qui a pris la parole. La queue de l'homme Lion commence a s'agiter légèrement.

Les trois anciens Mashras haussent les sourcils de surprise. Puis un silence pesant commence à s'installer... rapidement interrompu par le vieux Mashra central qui déclare sèchement :

"Tu parles beaucoup de mépris, gamin. Mais c'est toi qui l'épanche.

Alors quitte ces lieux puisque tu ne sais pas t'en montrer digne !"

Le shaloar laisse paraitre son étonnement quand les anciens affichent leur surprise. Etonnement remplacé par de l'incompréhension à l'entente des propos, incompréhension vite remplacée par un expression sévère et pensive.

La sévérité reste tandis que le guerrier sans arme se gratte le menton d'une main. La tête pivote vers les vigiles, revient sur les anciens et ce qui peut paraître comme une hésitation sur la conduite à tenir est balayée par une négation de la tête. C'est après une profonde inspiration que les mouvements de queue cessent et les bras se délient entièrement.

Dans des gestes lents et mesurables, le casque est enfilé, puis les gants, pour ensuite adopter la position verticale. Une fois debout et bien droit, je jeune au noir pelage gronde :

" A défaut de nous entendre et de nous comprendre, je réitère à nouveaux un de mes propos. Si les affaires de la cité vous interessent, j'ai des sujets à aborder. Sachez juste que je viens d'éviter à Tradisgantia une nouvelle déconvenue.

En vous remerciant pour votre accueil. "

L'ex lieutenant claque des talons façon martiale tout en effectuant un levé de menton en direction des anciens. Puis un pivot et c'est d'un pas vif et décidé que le chemin de la sortie est emprunté.

Lorsque Grage regarde du côté des vigiles, sa position ne lui permet que de contempler l'ouverture où se trouvaient trois Mashranis au travers de l'ouverture du compartiment de fond de pièce. Et il peut constater que la dite ouverture est inoccupée : les trois Mashranis sont retournées s'asseoir dans leur pièce aux parois de toile.

Les trois anciens restent silencieux jusqu'au moment du départ du jeune Léodra. Dès que ce dernier amorce son mouvement de pivot, le Mashra de gauche intervient par la parole :

"Manifestement, une incompréhension s'est produite de part et d'autre. Je vous invite donc, Grage Niark, à reprendre place devant nous et à reprendre notre conversation de son début.

Somme toutes, aucune des deux parties n'a obtenu ce qu'elle attendait, n'est-ce-pas ?"

C'est telle une statue dignement figée dans son élan de départ que les propos sont entendus. Après un petit sablier, le mouvement de pivot se fait dans l'autre sens.

Silencieusement, l'homme lion retire à nouveau son casque et, face aux anciens, incline la tête, une respectueuse satisfaction habillant son regard :

" Je loue cet instant où pour la première fois, j'ai l'impression que nous partageons plus qu'une parole. "

Le sauveur prend le temps de s'assoir en tailleur, posant à nouveau casque et gantelet à terre. Posture prise, le guerrier sans arme regarde les mashra, tour à tour, à hauteur du menton, façon calme et posée. Puis, patiemment, l'initiative de la parole est laissée aux maîtres des lieux.

Après un bon moment de silence le temps que le jeune Léodra se réinstalle puis ait pris le temps d'observer les vieux Mashras, c'est l'ancien le plus à droite qui prend la parole :

"Puisque les présentations n'ont pas encore été faites, laissez-moi donc y pourvoir."

Il indique le Mashra du milieu avec ses griffes, la paume pointée vers le haut.

"Voici Nash'kresht, Gardien des Traditions."

Il indique ensuite le Mashra de gauche avec le même geste.

"Voici Mrrâm'narshk, Ambassadeur des Vérités."

Il plaque ensuite sa main griffue sur son cœur.

"Et je suis Shalaamnrirr, Conservateur des Lignées."

Les trois anciens inclinent leur tête simultanément et brièvement pour saluer Grage. Après un bref silence, Mrrâm'narshk reprend ensuite la parole :

"Notre infructueux échange a pour au moins eu le mérite de nous convaincre de l'intérêt de votre présence, Grage Niark. Gageons que désormais nos paroles saurons nous enrichir mutuellement."

Et le trois anciens inclinent à nouveau leur tête simultanément.

A chaque présentation, le jeune incline respetueusement la tête. La façon dont débute le second entretien est vécue comme appaisante. L'hésitation dure pendant un bon sablier avant qu'un grondement doux, rauque dans les premiers temps se fasse entendre :

" Grage Niark dit le sauvageon par ses femelles, seigneur sans terres et loin d'sa cours. J'vais m'montrer tel que j'suis.  Dénué d'bonnes manières à tel point que j'sais même pas prendre un bain avec une femelle qui n'est pas mienne sans provoquer sa colère.

C'est depuis qu'j'ai rencontrer Grand Frère ... Kentarrak le Roux... que j'cherche à ... grandir, si on peut appeler ça grandir.. J'ai voulu rencontrer d'anciennes Léodranis pour m'faire éduquer. Mais j'ai bien compris qu'c'étais peine perdue.

Pour faire court, j'm'bat contre moi-même car les soit disantes bonnes manières ne sont qu'du chichi inutile et trop souvent une perte de temps à mes yeux. Pendant nos courbettes, l'ennemi agit, et j'en ai le poil qui frémi jusqu'à la racine.

La position du regard, le 'ani'. J'ai appris y a  ..."

Le massif orateur regarde tout les doigts de ses mains

" qu'deux deux fois ça en jours. Ah. Et le 'ani' c'est c'qu'on doit mettre au bout des mots pour nos femelles, Mashr'... ani. Et le titre de seigneur m'agace car je n'le mérite pas encore.

Voila c'qui a sous l'armure. Un jeune léodra au noir pelage qui, comme son armure, n'est pas entier dans c'qu'il est. Donc désolé si j'dérape dans mes manières, j'veux pas manquer d'respect aux shaloars et shaloaranis. "

Un petite pause, un regard appuyé avec les yeux au menton des interlocuteur, et le discours se poursuit.

" J'suis v'nu pour Yarm'narsh, pour la cité, et par curiosité. J'vous percevais comme de vieux drogués avant d'entrer. J'm'aperçois qu'c'est pas l'cas. Y a des fois ou j'suis satisfait d'avoir tord. C'est l'cas. "

Pendant son laîus, l'homme lion laisse le naturel de son aplomb et de son magnétisme paraître sans aucune retenue. La tête inclinée, le jeune observe les réactions et attend patiemment la suite.

Les trois anciens hochent la tête simultanément en signe de compréhension et d'acceptation. Puis après un temps de silence, Mrrâm'narshk reprend la parole :

"Nous ne serons pas courroucés par votre manque de manières, Grage Niark, tant que l'expression de la courtoisie sera réelle. Si vous êtes courroucé ou nargué par nos questions, ne prenez pas ombrage et indiquez nous simplement ce qui vous déplait. Nous pouvons tous ensemble faire de notre mieux pour que le savoir se propage entre nous."

L'Ambassadeur des Vérités appuie son regard sur le jeune Léodra et observe un court instant de silence. Quand il semble satisfait, il reprend la parole :

"Nos titres ont sans doute bien peu de sens pour vous, Grage Niark. Aussi je vais tenter de vous les résumer.

Le Gardien des Traditions est le commandeur de nos forces armées, le protecteur de notre savoir ancestral.
Le Conservateur des Lignées est le garant de la propagation de notre histoire au sein de notre Clan.
Et l'Ambassadeur des Vérités est le dirigeant de ceux des nôtres qui côtoient le monde extérieur en quête de réponses."

Nash'kresht et Shalaamnrirr hochent la tête longuement lors de l'explication de leur titre, pour relever la tête ensuite. Mrrâm'narshk poursuit :

"Avant de discourir à propos de la cité, pourriez-vous nous éclairer sur un détail ?
L'appellation de 'Grand Frère' à propos du seigneur de la cité désigne-t-elle un lien familial ?"

Les premières paroles surprennent autant qu'elles apportent satisfaction. Une approbation silencieuse de la tête montre l'adhésion de l'auditeur aux propos entendus.

Le regard de l'invité se pose sur le porteur du titre du commandeur des force armées avec un sérieux mi répprobateur mi interrogateur, le regard porté sur le menton et pas plus haut. Ce regard dure jusqu'à la fin des propos et, à la recherche de ses mots, le sauveur laisse passer un petit silence.

" Kentarrak le roux m'a honoré du surnom de p'tit frère après la grande bataille. Faut dire que j'lui ai évité d'se faire tondre par l'ennemi. Je l'ai pris dans le sens frère d'armes et j'en suis plus que satisfait. Je m'suis pas posé la question d'savoir si nous avons un lien de parenté. Donc, j'peux pas répondre à la question.

Et... Ce titre la, commandeur des forces armées. Vous parlez des forces Mashra ? Hein ? C'est nous les Léodra qui commandons aux shaloars en temps de guerre. Enfin, ca d'vait être comme ça avant la chute, quand tout était noir comme mon poil. "

A l'écoute, le jeune observe et se tient pret à apporter présicion si besoin.

Après un bref silence, Nash'kresht prend la parole, d'un ton martial nettement moins complaisant que celui de Mrrâm'narshk :

"L'Ambassadeur des Vérités parle bien entendu des forces Mashras. Nos titres ne valent qu'au sein de notre Clan. Ce sont toujours les Léodras qui commandent, quoi qu'en disent les Skrakas. Et pas seulement en temps de guerre."

Après avoir affirmé ces paroles, il retrouve le silence. Mrrâm'narshk attend quelques instants avant de reprendre :

"Je vous remercie de ces précisions, Grage Niark.

Nous sommes maintenant prêts à vous entendre sur la situation de la cité."

Et l'Ambassadeur des Vérités fait un geste complexe d'invitation de la main.

Le ton martial de Nash'kresht ne dérange absolument l'ex lieutenant qui maintien son écoute active, et opine du chef pour marquer la bonne entente des propos comme le ferait tout bon militaire.

Le jeune Shaloar allait pour s'exprimer quand le signe complexe de la main retient son attention. La curiosité s'exprime rapidement et posément.

" Ce signe complexe d'la main, c'est du déjà vu chez les Sarzanno. Y t-il a un sens caché que j'devrais connaître ?  "

Sans attendre la réponse dans l'immédiat, le sauveur poursuit moins curieux, plus serieux et avec un verbe plus soutenu.

" Ma rencontre avec le haut patriarche me permet de vous confirmer que la famille Sarzanno a été infiltrée, et que des forces de cette famille ont été detournees pour nuire au calme apparent de cette cité. Fort heuresement, je suis intervenu à temps. Je présume que le haut patriarche souhaite la discrétion à ce sujet.

Cependant, ce cas n'est peut-être pas isolé. J'attends des pistes pour me remettre, ou non, en chasse. Je ne dispose que d'une seule source d'information pour le moment. Je viens à vous pour solliciter l'appui de l'ambassadeur des vérités.

Et, dans l'hypothèse ou les grandes familles sont infiltrées, comment puis-je mener mes recherches sans que ma présence et mes actions ne porte atteinte au renom et à l'autorité de Kentarrak le roux ? "

Le timbre de voix est appuyé au moment de la question pour souligner l'importance de celle ci revêt pour le jeune Leodra.

Grage constate vite que sa dernière demande a provoqué une brève réaction de déplaisir chez le Gardien des Traditions et le Conservateur des Lignées, aussitôt masquée par une attitude digne et posée. Après un court instant de silence, l'Ambassadeur des Vérités reprend la parole :

"Tout d'abord, le signe que j'ai utilisé est un signe commun à tous les Shaloars. Il signifie l'invitation à la prise de parole sans se préoccuper de la gestuelle de respect envers les rangs. La famille Sarzano essaie de copier imparfaitement notre langage gestuel, vu que les simples humains manquent d'une queue pour l'utiliser dans sa totalité."

Il observe ensuite un temps de silence, avant de dire :

"Votre volonté de ne pas porter atteinte au commandement de la cité est respectable et vous honore. Et ce, alors que votre propre statut de Réprouvé vous autorise à passer outre.

Cependant je dois vous faire part d'un souci concernant notre cité. Kentarrak-le-Roux n'exerce hélas pas tout le pouvoir qu'il est censé détenir. Il se contente de faire régner l'ordre au sein des rues et laisse les Grandes Familles humaines décider du reste. Mais pour comprendre cette situation, vous faut-il recevoir des indices sur l'histoire de Tradisgantia ?"

Assis en tailleur, l'embarras du jeune est bien visible. A plusieurs reprises, des va et vient de la truffe montre une retenue dans la prise de parole.

" Mouais... Mouais... Mouais... Bon, écoutez,

Je vous ai exposé les motifs de ma visite. Mes curiosités sont légion et ne pourront être satisfaites en une rencontre.

J'vous expose donc mes priorités.

Tradisgantia ne doit pas tomber ! Je dois maintenir l'équilibre des forces en présence contre la perfidie des ... félons.

J'veux apprendre le laguage des signes, et Yarm'narsh me semble bon pédagogue. J'veux savoir me faire comprendre auprès des shaloars quand les urgences sont indiscutables, quelque soit leur rang, titre, position ou autres.

J'ai bien perçu qu'le manque de connaissance quand à mon statut de réprouvé vous choque, tout comme l'histoire de la cité me manque, et le reste aussi.

En tenant compte de ces éléments, je place ma confiance en vos personnes et je vous laisse décider par quoi commencer. Je dispose de deux jours avant mon retour d'informations. Le premier étant déjà entamé. "

Les mots, l'expression des demandes, tout s'est fait de façon naturelle. A nouveau, les anciens sont observés.

A nouveau le silence fait suite, tandis que les anciens en profitent pour tirer de la fumée de leur narguilé. Enfin, Mrrâm'narshk reprend la parole :

"Tout d'abord, nous ne sommes pas choqués par votre ignorance due à votre statut de Réprouvé. Elle est naturelle et remplit son objectif : vous laisser agir sans les rets de notre société.

Ensuite, pourquoi choisir Yarm'narsh comme précepteur ? Il n'en a pas la formation. Auriez-vous une raison particulière de le choisir ? Nous avons d'autres Mashras capables de vous enseigner plus efficacement, si vous désirez apprendre le langage des signes. Mais il vous faudra au moins un mois d'apprentissage, si vous êtes un élève brillant.

Enfin, ce n'est pas à nous de choisir ce que vous devez apprendre, mais à vous-même. Tel est votre rôle de Réprouvé. C'est à vous de choisir les domaines que vous ignorerez et ceux que vous désirez apprendre."

Mrrâm'narshk hoche alors la tête en un geste lent, et remet sa pipe en bouche. Nash'kresht en profite pour retirer la sienne de son museau et lâcher en soupirant :

"Maintenir l'équilibre des forces en présence ?", il éructe un son de dégoût puis reprend. "J'aurais pensé qu'un Réprouvé allait faire évoluer la situation, pas l'entériner..."

Shalaamnrirr intervient alors, sortant sa pipe de sa gueule :

"J'ai remarqué que vous avez utilisé les termes 'auprès des Shaloars', cela signifie-t-il que vous souhaitez rencontrer également les Finyas et les Skrakas ?"

Un sourire en coin se dessine sur le visage de l'auditeur attentif qui se laisse porter par ce jeu appelé 'Partage de paroles'. Une forme d'assurance naissante se traduit par une position du regard qui se réhausse avec un aplomb et un magnétisme naturel trop souvent bridé par des manières martiales.  

Le silence dure tandis que les trois fumeurs sont regardés tour à tour en terminant par le dernier des anciens à s'être exprimé  :

" Qui a parlé de rencontrer, Shalaamnrirr. Je veux savoir me faire comprendre auprès des shaloars quand les urgences sont indiscutables. Prenons l'exemple d'un Skraka qui tenterait de me barrer la route alors qu'une urgence m'appele. J'ai le choix entre lui faire comprendre que ce n'est pas l'instant et perdre mon temps,ou, au plus rapide, de le tuer. Un Skraka étant un redoutable guerrier, pourquoi éliminer un brave dont je pourrais avoir besoin... "

Le regard passe de Shalaamnrirr pour s'arréter sur Nash'kresht.

" Je parle au présent, Nash'kresht. Mes desseins futurs pour cette citée ne regarde que moi. Tant qu'elle conserve un intérêt, bien entendu. "

Enfin, c'est au tour de Mrrâm'narshk d'être regardé

" Vous êtes empli de contradictions, Mrrâm'narshk. Quand je choisis, vous remettez en cause mon choix. Et quand je vous laisse le choix, vous me dites que c'est à moi de choisir. Que dois-je comprendre ? Que les faux semblants du monde extérieur habillent vos manières ? Je m'y refuse et je vous invite à vous ressaisir. "

Une profonde inspiration est prise avant qu'à nouveau, le grondement de la jeunesse emplisse les oreilles de son auditoire.

" Puisqu'il m'est donné de choisir, alors, je veux que vous partagiez vos connaissances sur ce qu'est un réprouvé. Sans cela, mes choix ne seront jamais à la hauteur de mon noir pelage. "

Le style plus vif et plus assuré n'est en aucun cas un manque de respect. Plutôt un jeune qui se découvre et qui gagne en assurance.

Shalaamnrirr acquiesce puis s'incline lentement vers le jeune Léodra avant de se redresser et de reprendre l'usage du narguilé.

Nash'kresht finit de tirer sur sa pipe et exhale de la fumée avant de répondre.

"Tes desseins futurs te sont propres et peuvent rester secrets, mais tes projets une fois établis feraient mieux d'être partagés avant de bouleverser la vie des habitants de cette cité lors de leur exécution. Sinon ne sois pas étonné de croiser les lames et les griffes de tes frères Shaloars."

Et il fixe longuement Grage dans les yeux, avec sa mine sérieuse et peu conciliante.

Mrrâm'narshk affiche un visage interrogatif et perplexe après que l'homme-lion noir pose son regard sur lui. Il demande alors :

"Grage Niark, je vous demande pardon ? Pourriez-vous expliquer votre dernière remarque ? Qu'est-ce qui vous amène à croire que j'use de faux semblants ? Et votre invitation pourrait être perçue comme un manque de respect ou une attaque verbale."

Le jeune opine du chef façon martiale, pour marquer la bonne entente des propos de Nash'kresht, tout comme il s'est montré satisfait du retour silencieux de Shalaamnrirr.

Reste Mrrâm'narshk qui revient à la charge et pousse l'invité à la réflexion sur le contenu du retour. Un silence bien long, deux à trois sablier, avec le regard dignement inquisiteur du chasseur planté dans celui de son interlocuteur, la queue dodelinant. Le silence est rompu net par

" SOIT ! "

accompagné d'un mouvement de buste, le tout avec pour vocation de réveiller l'attention des anciens, et vu le volume, les anciennes pourraient même se voir surprise.

" Je reconnais que mes propos vous concernant peuvent être perçus comme une provocation Mrrâm'narshk. Propos que je retire."

Cette phrase est accompagnée d'une brève mais sincère inclinaison de la tête. Un très court silence est laissé avant de s'adresser aux trois anciens.

" Avant de poursuivre, je réitère mes attentes en suspend. Ceci se fera à chacune de mes prises de parole tant qu'aucune réponse répondant à mes attentes ne sera entendue.

Par ordre de priorité, je veux que vous partagiez vos connaissances sur ce qu'est un réprouvé.
Ensuite, je choisirais mon précepteur ou ma préceptrice pour le language des signes.
Après quoi, vous me direz comment me faire comprendre auprès des shaloars quand les urgences sont indiscutables. "

Les propos de l'orateur sont appuyés par sa spoture finale, droite et digne. Une posture plus décontractée et à l'écoute ne viendra que quand si les anciens acquiescent ou répondent aux attentes émises. Sinon, les bras du réprouvé se croiseront dignement sur le torse et les oreilles se fermeront à l'écoute.

Hélas, Grage ne peut voir la réaction des anciennes se trouvant dans son dos... et s'il y a eu une réaction, elle a été suffisamment discrète pour ne pas provoquer d'indices sonores.

Mrrâm'narshk sourit et incline la tête après l'aveu du jeune Léodra.

Le silence se répand après la dernière déclaration de l'homme-lion noir. Grage peut entendre le bruit des murmures félins provenant des alcôves de toile proches, sans réussir à les comprendre.

C'est Shalaamnrirr qui reprend ensuite la parole.

"'Réprouvé' est un terme au sein de la culture Shandar qui désigne un mâle ou une femelle mis au ban de la société Shandar. Il s'agit d'une sanction lourde, qui interdit aux membres de la société de répondre aux demandes de la personne subissant ce châtiment. Bon nombre de Shandars considère que la mise à mort est plus clémente.

Quand il désigne un Léodra mâle, ce terme a un sens particulier. Il ne s'agit plus d'une sanction pour faute, mais d'un état de naissance. Le pelage est la marque de cet état. Quand celui-ci est noir à la naissance d'un jeune Léodra, ses parents sont informés du statut de leur enfant. La tradition veut que la mère emporte son fils loin de tout territoire dirigé par un Léodra, et qu'elle le forme à son statut.

Un Réprouvé Léodra reste à l'écart des traditions pour observer et analyser le monde qui l'entoure. Et quand il en sent le besoin et le bien-fondé, il intervient pour provoquer les changements nécessaires au sein des Clans."

L'ancien observe une courte pause, puis conclut :

"Depuis le Cataclysme, le Clan Mashra attend l'arrivée de celui qui apportera le renouveau. Et vous êtes le premier Léodra au pelage noir à vous présenter devant les Anciens."

Les trois vieux Mashras cessent de fumer et fixent Grage en silence.

Le massif guerrier écoute attentivement ce qui est dit, puis attend lui aussi comme si une suite se faisait attendre. Au bout d'un sablier, l'homme lion finit par s'exprimer sérieux et interrogatif :

" C'est tout ? J'en suis surpris.

D'ou vient la culture Shandar ? Sauf erreur de ma part, nous ne sommes que des créations. Notre culture est-elle montée de toute pièces par nos créateurs ?

Qu'est ce qui justifie une différence entre un réprouvé Léodra et Léodrani ?

Avez-vous des noms et des exemple de changements réalisés par d'anciens réprouvés ?

Le fait de ne pas être éduqué peut-il signifier le décès ou l'abandonde ma mère ?

Et enfin, l'attente du réprouvé peut signifier que des changements vous semble nécessaire pour vous, mashra ? "

Et la parole est laissé aux anciens tandis qu'ils sont observés.

Après un court moment d'attente, c'est à nouveau Shalaamnrirr qui prend la parole.

"La culture Shandar s'est fondée pendant de nombreux siècles après que nous ayons été créés par les Dieux. Les Shandars sont les premiers serviteurs des divinités et n'ont eu de cesse de les protéger. Tel était le but de notre existence.

Mais aujourd'hui ? Comment pouvons nous servir des maîtres qui sont partis sans laisser de consignes ? Et alors que notre nombre a grandement diminué ? Nous n'avons pas les réponses à ces questions."

Le Conservateur des Lignées aspire une bouffée, puis la recrache avant de continuer.

"Quelle différence voyez-vous entre un Léodra et une Léodrani ? Cela ne suffit-il pas à vous forger une justification de différence pour les Réprouvés ?"

L'ancien cligne plusieurs fois des yeux, comme si cela avait une signification particulière. Puis, il inspire profondément et évacue l'air de ses poumons. Et il poursuit :

"Pour ce qui est d'exemples, je pourrai vous conter la Geste de Kreshnark-le-Noir, qui a jeté les bases de notre culture telle qu'elle subsiste depuis mille ans, ou encore le Sacrifice de Vscharak'narish-l'Obscur, qui a su sauver notre civilisation face à la rébellion. Ce sont là les récits les plus marquants à propos de Réprouvés Léodras. Mais il en existe d'autres à l'impact plus modéré.

Vous conter l'une ou l'autre de ces histoires complètes prendrait plusieurs jours."

Alors, l'usage de la pipe est renouvelé. Puis il reprend la parole.

"Ne pas avoir reçu d'éducation en tant que Réprouvé Léodra peut avoir de nombreuses explications différentes. Le décès ou l'abandon de votre génitrice ne sont que certaines de ces explications.

Et enfin, certainement. Comme ont pu le signaler les questions du début de mes propos."

Bien que seul un des anciens s'exprime, les trois sont observés tour à tour

" Avez-vous la preuve que les dieux sont partis, Shalaamnrirr ? "

C'est la première question qui sort de la bouche du réprouvé qui, baigné de son jeune age, crois en détenir déja la réponse. Aussi, la suite ne tarde pas.

" Je vois bien la différence physiologique entre un mâle et une femelle. Seul notre longévité peut nous permettre d'affiner nos perceptions. Les Léodranis ne manquent ni de jugement, ni de perspicacité. Elles sont sujettes à des sauts d'humeur, mais je crois que c'est une caractéristique propre à toutes femelles. "

Les propos du sauvageon sont exprimés sous la forme d'un constat sur la gente féminine. Mais en aucun cas, il ne se moque.

" Les exemples pourraient influencer mes visions futures et me donner des ambitions qui ne sont pas miennes. Si un role je dois remplir, c'est vierge que je dois le faire. Les nobles histoires attendront, ainsi que ma mère. Et..."

La dernière question semble délicate, aussi prend t'elle un certain temps avant de se faire entendre.

" Si les dieux ont disparus, ne sommes-nous pas appelés à disparaître nous aussi ? Car comme l'a souligné Nash'kresht, la situation présente doit évoluer, dans un sens ou dans l'autre... "

Suite à sa dernière question, le sauveur se fait observateur.

.

Shalaamnrirr prend alors de longues bouffées de sa pipe, la mine songeuse. Les deux autres anciens restent stoïques, en attente.

Et enfin, le Conservateur des Lignées reprend la parole :

"Nous n'avons aucune preuve du départ des dieux, Grage Niark. Nous pouvons simplement constater qu'ils ne se montrent plus à leurs croyants et qu'ils ne répondent plus à nos cérémonies. Peut-être se montrent-ils uniquement distants...

Et pour l'appel à notre disparition, rien ne vient l'affirmer. Nous avons perdu bon nombre des nôtres, mais ceci est vrai pour tous les peuples. Et le Cataclysme a tout d'abord provoqué de multiples conflits entre les survivants. Il était alors du devoir de tous les Shaloars de ramener le calme. Mais cela nous a beaucoup coûté..."

Les deux autres anciens hochent simultanément la tête, la mine peinée, pour appuyer silencieusement les propos de Shalaamnrirr.

D'insticnt, le Léodra partage la peine de des anciens. Tel une statue, le buste droit, le regard sévèrement péiné, un bon sablier de silence est observé.

Après cet instant de partage, le grondement de la jeunesse se fait à nouveau entendre façon déterminé

" Bien, je vais apprendre les signes et l'histoire.

Présentez moi un précepteur ou une préceptrice pour le language des signes agrémenté de quelques bonnes manières. Je ferais mon choix. Je veux de la jeunesse directivité, comme cette mashrani pelage tacheté qui travaille à l'hostellerie du Havre ronronnant. Elle ne manque pas de me reprendre à chaque fois qu'il le faut, comme il le faut, sans se laisser impressionner.

Etes-vous pret pour l'histoire de Tradisgantia d'avant la chute ? "

"L'Hostellerie du Havre Ronronnant !?! Tpeuuh !", réagit aussitôt Nash'kresht, avec une expression de dégoût.

La réaction des deux autres vieux Mashras est moins flagrante, mais elle témoigne du même ressentiment. Puis Shalaamnrirr intervient :

"Avez-vous une période précise qui vous intrigue, Grage Niark ? Sinon il me faudra des mois pour vous relater toute l'histoire de Tradisgantia..."

Et ne laissant passer qu'un bref silence, Mrrâm'narshk intervient :

"Nous pouvons vous présenter un précepteur ou une préceptrice mais aucun ni aucune ne sera jeune. Les jeunes Mashras ne sont jamais en âge d'enseigner. A moins que vous ne vouliez exprimer autre chose ?"