Peu avant le crépuscule, Grage arrive devant la boutique de Yamina.

Il a du remonter une rue un peu plus large que les autres dont les accès sont gardés par des hommes en armes à la vêture variée. Ces derniers se sont écartés pour laisser passer le massif Shaloar dès qu'au moins un d'entre eux venait à murmurer "C'est Grage, l'ex-champion...". Plusieurs des combattants ont salué le Léodra noir d'un signe de tête, d'autres sont restés à distance, méfiants.

Grage constate vite que l'ensemble des demeures de chaque côté de la rue ont été converties en boutiques : tisserands, orfèvres, parfumeurs. La rue fait un peu moins d'une centaine de mètres de long et n'a des accès qu'à chaque bout. Toutes les demeures sont collées les unes aux autres.

Le jeune homme-lion a du avancer sur les deux-tiers de la rue avant de trouver l'enseigne de Yamina : une tête de félin ornée d'une tiare et d'un collier.

Dès son arrivée, il constate que deux jeunes femmes d'une quinzaine d'années sont en train de finir de tirer des rideaux de l'autre côté de la vitrine.

De son pas assuré, Le Léodra avance dans les ruelles, les sens aux aguets. Le salut aura été rendu aux hommes d'armes reconnaissant l'ex-champion sans arrêter sa progression.

Arrivant devant l'enseigne et voyant les demoiselles tirer les rideaux de l'intérieur, Grage vient, comme à son habitude, délicatement marteler la porte d'entrée à plusieurs reprises de son gant de fer.

La plus prompte des jeunes femmes lâche son rideau après le troisième coup de gantelet sur la porte. Elle met ses mains en porte-voix et Grage peut entendre sa voix étouffée alors qu'elle est sans doute en train de crier.

"C'est fermé ! Revenez demain !"

Suite à la réponse verbale, le massif Léodra martèle la porte à nouveau de son gantelet.

La jeune femme regarde le Shaloar sans comprendre. Puis les deux jeunes femmes secouent la tête, se regardent, prennent une mine blasée et finissent de fermer les rideaux sans prêter plus d'attention à Grage Niark.

Le guerrier gronde intérieurement puis finit par lâcher d'une voix tonnante :

" Grage veut parler à Yamina ! "

Peu de temps après la demande tonitruante du Shaloar, ce dernier remarque plus loin sur sa gauche un groupe disparate d'hommes armés sortir d'une demeure. Ils sont bien équipés (armes à une main, rondaches, arbalètes de poing, cottes de maille ou broignes) et ont la mine à la fois intriguée et irritée. Les dix combattants se déploient dans la rue à plus de vingt mètres, juste à la sortie du bâtiment dont ils sont issus, et ils vérifient du regard les toits environnants ainsi que les alentours.

Le temps qu'ils finissent leur inspection visuelle, une fenêtre ornée de barreaux s'ouvre à l'étage supérieur de la boutique. Un homme musclé et barbu, revêtu d'une cotte de maille, s'y montre et apostrophe le Shaloar en contrebas :

"Et de quoi il veut parler à Yamina, messager ?"

La massif guerrier observe le manège des hommes d'armes avec sérieux, le sens aux aguets. Le Léodra observe lui aussi les toits et les alentours, histoire d'apprécier les possibilités tactiques que peut lui offrir l’environnement au cas ou.

Quand la voix se fait entendre, Grage répond de sa voix grondante, se tenant prêt à tout éventualité :

" Grage n'est pas un messager. Il a besoin de s’entretenir avec Yamina pour une affaire de Léodra à Léodra.. "

Les dix hommes armés ont terminé leur vérification panoramique. Ils fixent maintenant le Léodra et suivent la conversation, la mine mi-belliqueuse mi-indécise. Quelques arbalètes de poing sont pointées vers Grage, en attente.

Le barbu à l'étage écoute le jeune Shaloar puis répond aussitôt, sans se poser de questions :

"Alors tu diras à Grage qu'il peut venir lui-même. Demain, aux heures d'ouverture !"

" Grage, c'est moi ! "

Gronde de façon tonnante le massif guerrier qui poursuit sur le même ton.

" Champion de l'arène, ex-lieutenant de la Garde et sauveur de Tradisgantia. "

Le barbu derrière ses barreaux de fenêtre reste un instant interdit, réalisant la méprise. Puis l'ouïe fine du Léodra le perçoit grommeler pour lui-même :

"... et infoutu d' parler d' lui-même en utilisant 'je' comme tout l' monde..."

Il se racle ensuite la gorge pour se redonner contenance, crache en oblique à travers les barreaux (en prenant soin de ne pas atteindre son interlocuteur en contrebas) puis reprend la parole vers Grage, sur un ton qui se veut blasé :

"Bon. Et que veut le sauveur à Yamina ?"

L'homme perché a à peine le temps de terminer sa seconde tirade que la voix du Léodra tonne à nouveau :

" Et toi, t'es infoutu de retenir ce qu'on te dit ! "

L'attitude du massif guerrier reste identique.

L'homme barbu sursaute et perd un court instant à se reprendre. Puis il rétorque, de mauvaise humeur :

"Parc' que tu crois qu' ça va suffire comme raison ! Tu t' prends pour qui ?
T'es plus d' la Garde, t'as aucun droit ici !"

La dizaine d'hommes d'armes à vingt mètres de là se raidit, et promptement, chacun a maintenant son arbalète pointée vers la tête du jeune homme-lion.

" Toi, quand ta maitresse va savoir, tu finiras comme ton molard. "

Tonne le guerrier toujours sur le même ton. Et sans attendre de réponse, le Léodra tourne les talons et s'en va part la ou il était venu, les sens aux aguets.

" Et sans que j'ai besoin de me salir." Continu de tonner le Shaloar, empêchant éventuellement l'homme perché de surenchérir verbalement.

Grage peut alors s'éloigner sans coup férir, n'entendant aucune réponse du barbu à part un ricanement discret. Le jeune Léodra noir n'a aucune peine à entendre les dix hommes d'armes qui lui emboîte le pas. Les toits sont toujours dénués de présences, sauf si on compte les quelques corbeaux venus se poser discrètement.

Les sens aux aguets et prompt à la réaction si besoin, le massif guerrier ne fait que marcher de son pas assuré en direction du quartier des arènes. Grage est à la recherche d'une auberge pas trop malfamée pour y manger.

Cependant, avec son ouïe fine, fait attention aux nombre de pas qu'il le suivent.

Les suiveurs cessent leur filature dès que le jeune homme-félin dépasse les gardes du bout de la rue. Grage remarque donc rapidement ensuite que personne ne le suit plus de quelques pâtés de maison. Le temps de quitter le quartier des indépendants, le crépuscule se produit. Puis la nuit tombe. Et Grage doit se fier aux torches surélevées qui sont allumées ici et là par des membres de la Garde de passage, pour pouvoir rejoindre enfin le quartier des arènes.

Suite dans le Quartier des Arènes...