Observateur [ Suite Parécos / sortie du borgne ]

Personne n'essaie d'entrer le temps d'ouverture de la poterne. Et le jeune Léodra ne remarque rien d'inhabituel. Son instinct reste muet. Le temps est clément, uniquement perturbé par quelques sautes irrégulières de vent.  Le duo peut donc sortir.

Quand Grage regarde en arrière, au lieu d'une muraille, il peut contempler une simple palissade de bois surmontant une base de pierre. Cette base s'élève jusqu'à environ un mètre de haut tandis que les pointes de la palissade culminent à un peu plus de cinq mètres. Les gardes ne sont présents que dans les deux tours de guet qui encadrent la grande double-porte fermée.

Sans mot dire, le borgne suit docilement son guide velu.

Grage estime le temps dont il dispose pour se rendre au vieux bougon pour la tombée de la nuit sans emprunter un chemin direct. La première partie de se temps consiste, une fois largement hors de vue de fort braise à effacer ses traces, quitte à porter le borgne sur son dos sur une bonne distance et revenir sur ses pas pour effacer ses traces ou offrir d'autres pistes.

Après quoi, si le champion dispose de suffisamment de temps, une chasse est envisageable pour peu que cela ne mette pas la sécurité du duo en jeu.

Vigilant dans ce qu'il fait, des panoramiques sont effectués régulièrement, même dans les airs à l'affût d'un probable démon cornu brumeux.

Le puissant Léodra noir accomplit ses différents souhaits sans encombres. Jérémiah se fait discret le temps de la chasse, simple observateur.

Grage ne repère aucune créature volante dans les environs, ni aucun démon.

Panse emplie, et toujours aussi vigilant et prudent, le massif poilu se rendra au lieu de rendez vous juste avant la tombée de la nuit. Prudent, et observateur, la vigilance est de mise.

Viendra ensuite la préparation avant l'attente. Placer la cape en mode inversé, devant, pour être protéger des vents de face, et la positionner enroulée sous le cou pour ne pas gêner les mouvements en attendant d'être grimper sur le reptile. D'un signe de tête, le noiraud invite Jérémiah à faire de même.

" Et n'oublie pas de protéger tes genoux et tes pieds des vents froids quand nous serons en l'air. Je te conseille la tête dans la capuche pour éviter les brumes acides de certains passages. Et je vais même te demander de mettre la tête dans ta capuche avant qu'ils n'arrivent. "

Avec un sourire tranquille, Jérémiah suit les recommandations du massif Shaloar sans rechigner.

Placé sur le bon versant du vieux bougon, le massif guerrier patientera jusqu'à la tombée de la nuit, vigilant, restant à l'abri des regards. Alors que l’œil du gardien commence à disparaître, le Shaloar demande à l'humain :

" Souhaites-tu que l'on s'attache avant d'être en l'air ? "

"

Conservant un sourire paisible, le borgne répond :

"Je préfère conserver ma liberté de mouvement."

" Tu te mettra derrière moi. Je veux juste que notre conducteur ne voit pas ton visage. "

poursuit le massif poilu.

" D'ailleurs, moins il en voit sur toi et mieux se sera. Toi qui a l'habitude de voyagé à terre, tu as déjà volé sur des créatures ailés ,"

La dernière question est pure curiosité.

Le borgne répond simplement : "Soit."

Puis à la question du Shaloar, il répond d'un hochement de tête de confirmation.

"J'en ai déjà eu l'occasion."

Le noiraud affiche un sourire carnassièrement souriant en fixant le borgne quelques instants. Puis l'observation de l'environnement reprend le dessus.

" Ce quatre z'yeux est doté de certains talents que je n'apprécie guère, d'ou ma question. Est-ce que la sorcellerie peut empêcher ou altérer tes visions ? Quelles soient futures, présentes ou passées.

Je suis d'ailleurs surpris que tu es pu voir le premier sbire de l'entropie que j'ai vu. Comment se fait-il que des personnes dotées de capacités comme les vôtres ne cherchent pas à protéger la vie ? A se demander aussi pourquoi les sbires de l'entropie ne prennent pas plus de précautions. "

Puis le grand questionneur fixe à nouveau le caravanier d'un ton sérieux.

" Ah. Je sais que je suis bavard. Tu as le droit de me demander de me taire si mes questions te saoulent. Je pense que tu as compris que ce qui m’intéresse réellement. Et un silence ne changera en rien ce que je suis déterminé à faire. "

Jérémiah laisse échapper un bref soupir avant de répondre sereinement :

"Je n'ai aucune idée des limites de la sorcellerie. Alors je ne saurai répondre à ta première question.

Ta seconde question me semble quelque peu déphasée, champion. Où as-tu rencontré des individus souhaitant 'protéger la vie' ? A moins que ce ne soit un lapsus et que tu souhaitais en fait dire 'protéger leur vie'... mais là, ta question n'aurait simplement pas de sens. Tout un chacun cherche à protéger sa propre vie.

Ta conversation ne me dérange pas et je suis toujours curieux de tes prochains propos. En fait, je peine toujours à te cerner, champion. Ta personnalité est pleine d'incongruités que je ne sais expliquer."

" in con grui tés "

Reprend lentement le noiraud, détachant chaque syllabe, en les articulant presque à l'exagéré.

" Et bien, protéger la vie, dans ma vision des choses, c'est protéger ce qui est vivant dans sa globalité contre l'entropie, ou ce qui représente l'entropie en ces terres connues ou inconnues. Je n'ai pas de meilleure définition pour l'instant.

Pour le reste, je suis plus instinctif que raisonné. Et c'est maintenant moi qui ai du mal à comprendre pourquoi toi, expérimenté et instruit que tu es, tu as du mal à cerner un Léodra entier. Qu'est-ce qui te surprend le plus chez moi ? Ma candeur carnassière ? "

Même si le massif guerrier reprend ses observations des alentours, les oreilles elles restent bien droite et à l’affût d'une réponse.

Le borgne agrandit brièvement son sourire.

"Candeur carnassière... oui,cela me semble un bon résumé. Mais un résumé seulement."

Puis son front se plisse, il observe le silence un instant puis se lance :

"Tes affirmations sont intrigantes, champion.

Rien que 'protéger ce qui est vivant dans sa globalité contre l'entropie' n'a pas de véritable sens. Cela signifie-t-il que tu vas sauver les proies de leurs prédateurs ? Ou alors veux-tu sauver les vivants de la vieillesse ? Ou de la maladie ?

Et l'entropie n'est que l'augmentation du désordre, du chaos. Par essence, la vie est chaotique, donc en se développant, entropique. Voudrais-tu protéger la vie contre elle-même ?

Vois-tu ? Ce que tu affirmes semble ne pas avoir de sens."

Le noiraud sourit, visiblement satisfait de la réponse qu'il vient d'entendre tout en poursuivant son observation des alentours.

" Hum... J'apprécie ta répartie. Elle a le mérite de me pousser dans le précipice de mes faiblesses. Mon manque de connaissance, mon manque de précisions dans mes définitions font que je ne peux être entendu comme je le souhaite.

Tout ce que tu viens de citer : maladie, vieillesse, prédateur, n'a rien a voir avec l'entropie dont je parle, et tu le sais. L'essence de ta dérive verbale n'est la que pour évaluer ma détermination, ou la profondeur de mon raisonnement, voir les deux. Je vais tenter de m'expliquer différemment. Au froid la chaleur. A la mort, la vie. Que pourrais suivre à ce qui est détruit sans espoir de renaître ? A l’éradication...

Le guerrier marque bref un temps de silence

Et je vais me montrer plus incisif, sans chercher à t'offenser, tu le sais. Ma Candeur carnassière sauve, sans le savoir, ce qui est précieux, comme ta fille. Aurais-je du regarder parce que ça n'a pas de véritable sens, laisser faire pour me repaître ensuite ? "

Le guerrier vient plonger un regard nullement hargneux, nullement carnassier, mais étrangement empli d'une sage et poignante détermination. En cet instant, la prestance naturelle du Léodra vient s'ajouter à sa grande stature et sa musculature pour s'imposer comme un indicible roc.

" Même cette chose impalpable et vibrante qui nous motive est l'ennemi de l'entropie que je veux combattre. Tu ne me fera jamais fléchir ni douter à ce sujet. Même si, en partie, je trouve que tes propos sont censés. "

Le borgne laisse passer un bref instant de silence avant de répondre.

"Pour être franc, je devine plus que je ne sais quel est ton ennemi. Le problème est que tu parles de l'entropie comme si le terme se suffisait à lui-même pour le désigner. Mais il te faut savoir que l'appellation 'seigneurs de l'entropie' n'est utilisée qu'à Fort-Braise. Partout ailleurs, les sinistres seigneurs de l'ouest sont nommés 'seigneurs de jais'. Leurs envoyés sont surnommés 'chevaliers noirs' par la plèbe mais ils se désignent entre eux sous les noms de 'guerriers de jais' ou 'paladins de jais' selon leur rang.

Fort-Braise semble avoir une rancune de longue date envers les seigneurs de l'ouest. Mais celle-ci n'est pas partagée au sein des Terres Connues. Même s'ils sont inquiétants, les seigneurs de jais ont établi de solides relations commerciales avec leurs voisins."

Jérémiah marque une courte pause avant de changer de sujet.

"Je te serai toujours reconnaissant d'avoir sauvé ma fille, mais tu aurais eu moins d'ennuis en la laissant à son sort. Ce que m'ont appris quatre décennies de vie dans notre monde, c'est que chacun n'agit que par intérêt. Et pour la plupart, il est difficile de comprendre ton intérêt, champion. En cela, tu parais imprévisible donc dangereux."

Après un bref silence, il poursuit :

"Mon but n'est pas de te faire douter, champion, mais de te faire saisir que tes paroles paraissent souvent incongrues à qui les entend. Alors que tu t'exprimes souvent comme si tes assertions étaient évidentes."

" Bien sur que je suis dangereux, je suis un Léodra,. "

répond le massif poilu presque spontanément amusé par la réponse non réfléchie qui sort spontanément..

" Ta fille est le second sauvetage dont je me souviens, fais sous le coup d'une impulsion, totalement dénué d'intérêt commun aux gens de ce monde. Sauf peut-être les artistes quand ils sont satisfaits de leur création. Et à chaque fois, je suis récompensé de façon équilibré. Mes chemins se voient modifiés, des changements lourds de conséquences me font dévier de ma route habituelle. "

Le guerrier reprend son souffle, continuant de s'exprimer avec calme tout en observant les environs.

" Je comprends ce que tu veux dire quand tu parles d'imprévus. Les grands de ce monde, dont certains aiment se faire acheter par les seigneurs de Jais, n'aiment ce qu'ils ne peuvent prévoir. L'inconnu qui peut déranger un plan.

Et pour être totalement honnête, la satisfaction personnelle que j'éprouve dans ces actes est si grande que je me sens presque revivre. Mes actes ne sont donc pas dénué d'intérêt. La satisfaction n'a pas de prix, se sentir bien n'a pas de prix. Si les dieux, bien que je sois plus enclin à dire hasard, ont placé Kajira sur mon chemin, ce n'est pas pour rien. Tu t'en doutes. C'est une élue et elle l'étais avant d'apprendre à développer ses capacités avec des instructeurs. Nous avons déjà œuvré ensemble et j'ai été subjuguer par ses talents. Tout comme j'ai retrouvé une partie de moi-même en elle. Son cœur fougueux, son impatience. J'espère qu'elle fera le bon choix, à mes yeux, quand je la retrouverais. "

Le regard du carnassier vient se poser sur le borgne, affichant une attitude engagée et responsable.

" Car si elle fait l'autre choix, je risque de me disputer avec mon ordre. Les conséquences seront lourdes pour moi. Mais elle restera libre. Je ne l'ai pas libérée pour lui imposer un chemin.

Et pour continuer sur la sincérité, je suis envieux de ses talents.

Je t'avais dit que j'équilibrerais la balance. Tu t'es confié à moi lors de notre première entrevue. Je te rend la pareil."

En réponse, le borgne hoche simplement la tête de façon approbatrice.

Après cet échange instructif, le shaloar reprend sa vigilance, laissant le temps passer avec calme. La tombée de la nuit est attendue patiemment.

Le vent portant est reniflé de temps à autres, tandis que l'environnement est scruté de façon erratique, des regards plus attentifs la ou le vent file. L'engourdissement est évité par de légers mouvements de musculature.

De même, Jérémiah reste en mouvement pour éviter de laisser prise au froid ambiant, surtout apporté par les sautes de vent.

Grage n'a pas à attendre bien longtemps : le crépuscule avait déjà commencé pendant la conversation entre les deux voyageurs. L’Œil du Gardien finit lentement de se cacher derrière l'horizon et la nuit devient complète. La vision du Léodra s'adapte au fur et à mesure à la disparition de la lumière. Le borgne devient plus précautionneux dans ses déambulations.

Pendant son attente vigilante, le massif Shaloar finit par réaliser que la vague et faible phosphorescence qui lui permet de continuer à voir la nuit émane en fait du sol. A part cela, il ne détecte aucune présence, ne ressent aucun danger pressant. Juste cette légère impression de menace diffuse propre aux espaces sauvages.

Puis Grage entend les lourds et lents battements d'ailes d'une créature volumineuse. Celle-ci se rapproche.

Le noiraud utilise sa pierre de communication tout en s'approchant de son compagnon. Une fois à portée, Jeremiah sera saisi par le bras et guidé entre des rochers pour éviter une attaque aérienne que le  poilu se tient prêt à accueillir. Verbalement grondant, le grand Shaloar adresse à son acolyte verbalement

" Masque toi au mieux."

Dans le même temps, si le contact mental avec son taxi est établi, le massif chaton gronde d'esprit à esprit :

" Si c'est pas toi, je tranche."

Le contact mental est établi immédiatement avec le jeune initié. Ce dernier répond aussitôt, amusé :

"Et en langage compréhensible, ça donne quoi ?

Allez, gros chat, courage ! Un jour, je suis sûr, tu arriveras à faire des phrases avec du sens !"

Le borgne se recouvre le visage avec sa capuche. De toute manière, cela ne change pas grand chose à ses possibilités de perception visuelle.

La grosse entité ailée continue de s'approcher en perdant de l'altitude : elle est maintenant à moins de cent pas. Grage peut distinguer qu'il s'agit d'un grand reptile et qu'il porte un passager humanoïde sur son dos.

Le noiraud répond mentalement de façon amusée

" C'est toi, donc je vais te caresser dans le sens du poil. Ça fait sens maintenant ? "

Puis le noiraud se prépare à porter le caravanier en grondant simplement.

" C'est l'heure du décollage. "

Le noiraud prend son temps, et se montre délicat pour la prise de son sac à patate humanoïde. Une fois que le gros lézard sera prêt à être chevauché, alors le guerrier commencera par positionner le maître des routes en le guidant au mieux et sans aucune brutalité, puis, s'installera sur la bête avant le départ. Jérémiah est installé entre les deux guerriers spirituels, et Grage reste paré à toute éventualité pour ne pas qu'il tombe.

Faris répond aussitôt mentalement, un peu blasé :

"Pas plus... Ok, je te laisse avec tes divagations à la noix.

Donc, tu voulais quoi ?"

" Juste avoir la confirmation que c'est bien toi qui approche de moi.."

Le ton est juste un peu plus sérieux. La main qui ne gère pas la position de Jérémiah se dirige lentement mais assurément en direction de l'épée légendaire tandis que le noiraud se tient prêt à toute éventualité.