Le Léodra progresse

Le Mashra fixe longuement le jeune Léodra noir en restant silencieux, imperturbable. Puis il hoche plusieurs fois la tête de manière approbative. Il pousse ensuite un soupir de côté. Et là, il s'assied en tailleur alors que les vents continuent de hurler à l'extérieur. Yarm'narsh continue de sursauter quand un objet vient cogner contre les murs, la porte ou les volets. Son attitude se veut plus paisible même si son regard contient encore de l'irritation. Quand il prend la parole, sa voix se veut apaisante.

"Nous avons un véritable problème de communication, Grage Niark. L'un comme l'autre nous faisons l'erreur d'interpréter les paroles et attitudes de notre interlocuteur selon nos référentiels, selon nos échelles de valeur. Sans essayer de tenir compte de celles de l'autre.

Il est maintenant clair que tu manques totalement d'éducation. Que ce n'est pas uniquement par défi ou par rébellion que tu te comportes et que tu parles de manière aussi irrespectueuse. L'ignorance est une faiblesse mais elle n'est pas une faute personnelle. Elle est la faute de ceux qui auraient du t'enseigner.

Je te présente donc mes excuses pour avoir hâtivement méjugé de tes actes et de tes propos. "

Yarm'narsh penche alors la tête vers le sol en signe de contrition. Puis il la redresse et fixe Grage dans les yeux.

"Puisque je suis ton ainé, il est de mon devoir d'essayer de te transmettre une part de mon expérience.

Tout d'abord, il vaudrait mieux que tu cesses de généraliser à partir d'un seul exemple. Je ne suis pas le Clan Mashra, je n'en suis qu'un des membres. Et pas le plus émérite ni le plus représentatif. Quand je dis que je ne suis pas un précepteur, c'est parce que j'estime que je ne suis pas digne ni capable de transmettre le savoir de façon adéquate. Et non pas que je veux garder mon savoir pour moi.

Si tu veux réellement apprendre, il est possible de rencontrer nos anciens. Ils ne t'enseigneront pas les traditions Mashra, mais par contre les traditions Shaloar sont pour tous les clans.

Si tu ne le veux pas, je te conseille d'éviter à l'avenir de porter des jugements sur des traditions que tu ne connais même pas ou de porter des jugements sur des combats dont tu n'as pas été ni un belligérant ni un témoin. Le faire ne sera pour tes auditeurs qu'une preuve d'inconséquence et de vantardise."

L’homme lion debout plisse les yeux d’une sévère incompréhension quand son interlocuteur s’assied après son silence réflexif. Après une écoute attentive des premiers propos, le croteux ne retient pas une expiration de soulagement avec des yeux un peu écarquillés de surprise à l’entente des excuses. L’attitude du guerrier blasé laisse rapidement place à un Grage qui affiche un sourire de reconnaissance presque fraternelle l’espace de quelques secondes avant de croiser les bras sur le torse et de s’adosser au mur.

C’est maintenant au tour du Léodra d’acquiescer de la tête à l’écoute des propos qui lui sont destinés.

« Je suis satisfait de ne pas m’être trompé à ton égard en disant que tu es valeureux, Yarm'narsh . Et tu m’en vois soulagé. »

Le massif guerrier plante son regard avec sincérité dans les yeux du Mashra, lui laissant le temps d’apprécier la sincérité du propos.

« J’aimerais en cet instant savoir me comporter dans nos règles de bienséances pour te retourner le cérémonial que tu mérites. Pour éviter les entraves, je vais resté sur une attitude épurée qui ne se veut point outrageante. Poursuivant ma lancée, je reconnais que tu m’l’as coupée bien court ma chique. Que puis-je rajouter maintenant, pour avoir mon dernier mot de Léodra »

Le noiraud part dans un petit rire sincère, presque communicatif.

Le Mashra a un bref rire sincère pour accompagner celui du jeune Léodra. Conservant ensuite un sourire amical, il ajoute sur un ton désolé :

"En outre, notre rencontre ne s'est pas déroulée sous les meilleurs auspices : les tempêtes me portent sur les nerfs. Ma patience était loin d'être à son point culminant...

Soit désormais le bienvenu sous ce toit, Grage Niark !"

« C’est chez toi ? »

Reprend l’homme lion du tac au tac surpris, le regard venant à nouveau se plonger rapidement dans celui du fauve. Puis, l’ex-lieutenant observe les murs maintenant tachetés de façon différente, un peu déçu, tâches après tâches, s’exprimant sur un ton amical et sincère.

« Tu m’as dit que cet endroit appartenait au Sarzano ??? »

.Et avant que Shaloar assis ne puisse répondre, le regard du croteux se tourne à nouveau, la bouche s’entrouvre mais rien n’en sort. Puis, d’un hochement de tête négatif, le noiraud s’exprime :

« Non !... Je vais stopper mes sornettes provocatrices stériles et simplement attendre une précision de ta part, Yarm'narsh. »

Yarm'narsh conserve autant que possible une attitude digne, mais les épisodiques sursauts provoqués par les  chocs issus des grands vents nuisent à sa superbe. Il finit par répondre :

"Tu m'as bien entendu, Grage Niark. Cet endroit n'est pas ma demeure. Il ne m'apparitent pas même si j'y passe la majorité de mon temps.

Ma formulation ne visait qu'à te confirmer que je n'avais plus aucune méfiance ni hostilité envers toi. Et qu'il en restera ainsi tant que tu ne viendras pas blesser ni mon corps ni mon honneur.

Bien entendu, la bienvenue dans cette maison ne t'est acquise que si c'est moi qui la garde au moment de ta visite."

Il attend ensuite les éventuelles paroles du jeune Léodra noir.

« Mouais »

Lâche le jeunot juste après un léger reniflement avant de s’assoire tel qu’il était auparavant en expirant pour lui-même.

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. »

Une fois assis, le léodra souffle fort à plusieurs reprises, de plus en plus lentement, de plus en plus profondément jusqu’à revenir à une respiration normale. Pendant un long moment de silence, laisse ses pensées se faire bercer par la tempête, les yeux rivés sur le mur d’en face.

«Brusquement, la tête de l'ex-lieutenant se tourne vers l’homme fauve. »

« Tu connais bien les Léodra de la ville ? Male et femelle ? J’ai une question à poser à une léodra blanche dont j’ignore le nom. »

Après que le silence de Grage ait commencé à durer, Yarm'Narsh reste assis en tailleur, fermant les yeux comme pour méditer. Il les rouvre quand le jeune Léodra lui pose sa question. Il a alors un hochement de tête approbateur, avant de répondre :

"J'en connais plusieurs.

Pour les Léodras femelles, c'est assez facile. Soit elles sont des résidentes, soit elles sont de passage.

Et si elles sont des résidentes, alors elles sont aussi soit une concubine, soit une fille de Kentarrak. J'imagine que tu  sais déjà que Tradisgantia est son territoire.

Pour celles qui sont de passage, je n'ai aucune réponse pour toi. Il arrive souvent que je ne sache même pas leur présence. Par contre, s'il s'agit d'une proche de Kentarrak, je peux sans doute l'identifier.

Quel âge avait cette Léodra en apparence ? Et comment était-elle vêtue ?"

Le guerrier spirituel à hoché la tête positivement à l’évocation du territoire de Kentarrak. Puis arrive le moment de répondre :

« Ah !! » Le noiraud fronce les sourcils et tandis que ses narines ont la bougeotte. Après quelques longues secondes de silence, il finit pas s’exprimer avec lenteur :

« Une épée courte dans un fourreau… Ah non … deux, une sur chaque hanche… un gilet de cuir... avec jupette de cuir… une ceinture… des jambières … et… c’est tout. »

Un nouveau moment de silence, les yeux du Léodra bougent dans le vide avant de venir se river sur son interlocuteur.

« C’est tout. Je ne sais pas pour son âge et je ne lui ai pas demandé. Je l’ai revu peu de temps après en train de faire un jeu de force avec une autre femelle Léodra, au beau milieu d'une rue. Elles se grognaient dessus en se poussant avec les mains. Je m’en souviens car j’étais lieutenant à ce moment la et j’ai demandé à mes hommes d’écarter les badauds pour observer la scène en détail. »

Yarm'Narsh hoche la tête, le regard empli de révélation.

"Je pense savoir de qui il s'agit ! C'est sans doute Brynhilya, une des filles de Kentarrak. Elle est en âge de se trouver un époux mais elle préfère encore rester sur le territoire de son père et se chamailler avec les femelles de passage. Elle affirme souvent vouloir vérifier si elles sont dignes d'approcher son géniteur.

En fait, je pense qu'elle aime surtout se confronter à ses pareilles..."

"Brynhilya... Ah... Je tacherais de m'en souvenirs."

répond le noiraud plissant les yeux comme si il voyait venait de voir une proie. Puis, avec un vif intérêt dans le regard :

"On dit que chez les shaloar, la couleur du pelage à une signification ? Tu les connais "[/i]

Yarm'Narsh acquiesce tranquillement. Son calme est entrecoupé de sursauts quand les vents se font subitement plus violents.

"Oui, la couleur du pelage est censé avoir une signification. Mais c'est uniquement culturel et cela dépend de chaque Clan.

Par mon éducation, je connais les significations traditionnelles pour le Clan Mashra. Hélas, je ne me suis jamais intéressé à ce genre de détails pour le Clan Léodra."

« Ah ! Parce que c’est pas les même en fonction des clans… »

Le noiraud fait tournicoter son museau avant de répondre.

« Et je présume qu’il en va de même pour le langage corporel sans en être certain. J’ai croisé de nombreux représentants de races différentes. La majorité de ces races sont traquées par ceux que je combats et toutes possèdent des traits marqués sauf une, les humains. Il y a une raison à cela ? »

Le Mashra cligne des yeux plusieurs fois, les gardant écarquillés. Après un moment de silence, Yarm'Narsh soupire. Il répond ensuite :

"Je ne peux pas te donner de réponse car ta question n'a aucun sens pour moi.

Elle est trop vague et manque de contexte. N'importe quelle réponse pourrait être juste ou erronée, selon le point de vue."

« Mouais »

Lâche le Léodra sur un ton empli d’évidence. A nouveau, les yeux du Léodra brillent d’une intensité qui vient se river sur son interlocuteur.

« Tu m’appelles jeunot toi aussi. Mais je ne t’ai rien dit sur mon âge. Comment peux-tu le savoir ? »

Yarm'Narsh hausse un sourcil intrigué. Puis il fixe le jeune Léodra comme s'il voulait déterminer si son interlocuteur était en train de lui faire une blague. Enfin, il fronce les sourcils et répond :

"Je le vois bien à ton museau de jeunot."

Le noiraud regarde sévèrement son interlocuteur, les yeux plissés face à l’évidence de la réponse. Puis, après avoir retiré un de ses gantelets, l’homme lion retire la couche de crasse qui recouvre sa truffe en expirant par les narines et se la tripote du bout des coussinets en silence, parfois en louchant.

Les yeux rouges du tout croteux viennent ensuite se fixer sur le museau de son interlocuteur avec une attention carnassière avant de répondre d’un ton froissé presque mauvais.

« Qu’est qu’il a mon museau par rapport au tien ?! »

Yarm'Narsh se gratte un instant le côté du museau, intrigué. Puis il a un hochement de tête et répond :

"Il semble que tu n'aies pas grandi au milieu des Shaloars, sinon cela te serait évident."

Le Mashra prend une brève inspiration et poursuit :

"Il m'est difficile de répondre précisément à ta question. L'habitude fait que je détermine l'âge approximatif d'un de mes pareils de façon instinctive. Mais en substance :

Ton pelage est plus souple et plus lustré que le mien. Ton museau est plus lisse. Tes oreilles sont moins marquées par les agressions. Et ton regard indique ta naïveté.

Tout cela m'apprend que tu n'es encore qu'un jeune adulte."

Le regard du Léodra vire au noir tandis que, bouche fermée, la mâchoire se serre. Le yeux acéré du tout croteux se plante dans ceux de Yarm'Narsh qui peut sentir la tension monter d’un cran tandis que le noiraud enfile d’un coup sec son gantelet.

« C’est la pas la sagesse qui fait de toi un Mashra. Et ma naïveté va te frotter la gueule sous la tempête dans l’crotin fraîchement remué que je saurais pas te dire quel âge tu auras après. Mais sois certain que tu sentiras pire qu’un vieux».

Le guerrier spirituel se dresser prêt à l’action. Le ton est ferme.

Yarm'Narsh hausse un sourcil, visiblement étonné de la réaction du jeune Léodra. Il reste paisiblement assis, et penche la tête légèrement de côté tandis qu'il fixe son interlocuteur dans les yeux. Il demande alors d'une voix calme qui se veut apaisante :

"Puis-je savoir ce qui provoque ton irritation, Grage Niark ? Car je ne t'ai rien dit qui se veuille offensant."

Le noiraud répond du tac o tac.

" Ben je vais te frotter ma naïveté sur ta gueule, histoire de t'aider à comprendre."

Maintenant debout, le guerrier, prêt à l'action, commence par ouvrir la porte en commençant par récupérer ses épées.

Le Mashra regarde faire le jeune Léodra sans réagir, restant assis au sol. Il laisse simplement échapper un soupir.

Le Léodra, épées en main dont les lames sont encore dans le fourreau, regarde nerveusement celui qui pourrait être sa prochainement proie avec une colère grondante dont l’intensité monte. Un grondement ténu fuse intérieurement :

« Mais non d’une fiente de smilondon, qu’est ce qui m’arrive ! »

Après une profonde inspiration, l’homme lion lâche ses épées en même temps qu’il expire.

« J’ai les nerfs à fleur de peau. Même Kentarrak, pour qui j'ai grande estime, dans son bureau à la garnison je l’ai agacé. Ca m’hérisse le poil. »

Le Massif léodra laisse tomber sa masse cul au sol.

« J’ai tout pour être bien, des bons alliés, du prestige, une belle armure, des sous races qui me courent après pour me distraire ! J’ai tout pour être bien. Tout ! Et je ne suis pas foutu d’avoir des conversations censées… Pffuuuu … Tout s’embrouille. Tu comprends ça ! Tout s’embrouille. Avant, j’étais calme, ça se passait mieux même quand j’étais maladroit. Mais la ! »

Le noiraud fait silence aussi brusquement qu’il a commencé à s’exprimer, regardant ses mains avec toujours cette nervosité poignante prête à éclater.

Yarm'Narsh observe son interlocuteur et écoute toute sa tirade sans intervenir. Il reste ensuite quelques instants silencieux avant de coucher les oreilles et baisser le regard.

"Je suis désolé, Grage Niark. Je ne dispose pas de la sagesse nécessaire pour pouvoir te venir en aide.

Ton comportement me parait tout aussi étrange qu'à toi-même."

" J'ai autant que de poil que de questions à te poser, Yarm'Narsh, tu me vois navré de ne point faire honneur à ton expérience. Je vais faire silence, c'est mieux ainsi.."

Puis le noiraud se tait, ramassant ses épées et se réinstallant comme il l'a fait initialement pour se reposer. Les sens restent attentif et Grage guette les moindres signes de faiblesse de la tempête.

Le Mashra fauve et tacheté acquiesce d'un hochement de tête silencieux et laisse Grage s'installer.

Le temps passe...

La tempête met sans doute plusieurs heures avant de faiblir. Le jeune Léodra noir n'a aucune notion exacte du temps qui s'est écoulé. Les hurlements du vent ont couvert les cloches des beffrois, empêchant de repérer le passage des heures. Des bourrasques continuent à souffler mais de façon nettement moins violente. Même un simple humain pourrait maintenant marcher dehors sans se faire emporter... ce qui ne veut pas dire qu'il est exempté du risque de rencontrer un mur plus vite que prévu...

Le repos de Grage a été profitable et il ne subit plus aucune pénalité de Fatigue !