Grage arrive de nuit par une venelle aux abords du Quartier Sarzano.

Pendant la progression du digne Léodra, le vieil homme ouvre la voix alors que l'homme-lion se trouve au niveau des troisièmes colonnes de chaque côté.

"Halte là !"

La voix est forte malgré son timbre âgé et l'apparence décatie du vieillard. Les quatre bêtes allongées ont redressé la tête vivement, lorsque cette voix a résonné. Leurs regards de prédateurs se sont fixés sur le nouveau venu. De leur côté, les huit guerrier ont simplement raffermi leur prise sur leurs armes.

Quand il entend l'ordre donné, le shaloar s’arrête. C'est à cet endroit que le porteur de message effectue son inclinaison martial en guise de salutation déférente, oreilles couchées.

Une fois le salut effectué, le guerrier sans arme se redresse et attend dignement la suite des consignes, ou une autorisation pour s'exprimer.

Toujours assis, le vieillard fait alors un simple geste d'invitation de la main. Et attend.

Peste soit de ces gestes à la signification incomprise, l'invité prend l'initiative de la parole. De son style martial, le ton solennel est celui des hommes d'armes qui s'adressent à leur supérieur, avec force et dignité.

" Mes respects ! Haut Patriarche !

Je crains que votre famille ne soit infiltrée. L'aventurière prénommée Yasmina, qui s'est attirée les faveurs de Nicolo Sarzanno, est décédée  depuis quelque temps déjà. Et au présent, il s'agit d'une morte momifiée. "

Après un claquement de talon et un redressement du torse simultané, le Léodra montre qu'il en a terminé et laisse l'initiative de l'autorité dominante de poursuivre comme il le souhaite.

Le vieil homme ne montre aucune réaction à la suite des paroles de l'homme-lion. Il se penche légèrement en avant, les coudes appuyés sur les accoudoirs du fauteuil dans lequel il est confortablement assis, rassemblant ses mains devant lui. Son regard perd sa lassitude, dévoilant une impressionnante acuité, seule part de son visage semblant exprimer quelque chose.

"Et ?", prononce simplement sa voix âgée.

Durant ces quelques instants, les fauves conservent leur vigilance figée sur le jeune Léodra. Les huit hommes d'armes se tiennent prêts, les muscles bandés.

Le massif Léodra ne tarde pas à faire entendre sa réponse en conservant la même posture martiale et la même ton assuré et déférent :

" Moi et mes compagnons souhaitons pouvoir reprendre nos occupations sans plus de déconvenues liées directement ou indirectement aux affaires de votre famille, affaires qui ne nous regardent pas. "

A nouveau, le guerrier désarmé montre qu'il en a terminé en claquement de talon et un geste du buste dont l'aplomb martial témoigne d'un respect indiscutable, avant de rester à la disposition de l'autorité dominante.

Le vieil homme fixe le digne Léodra pendant un moment. Sans rien dire. Tandis que les bêtes et les guerriers présents restent sur le qui-vive.

Finalement, devant l'aplomb témoigné par Grage, Fabrizio toussote, en amenant son poing gauche devant sa bouche. Puis il se réinstalle plus confortablement dans son fauteuil, et finalement déclare de sa voix d'ancêtre :

"Fort bien. Il vous faudra être plus clair sur vos attentes, Shaloar. Ou je devrais considérer que vous ne m'avez que fait perdre du temps."

Et sa mine reprend peu à peu son expression d'ennui.

Le massif Léodra masque au mieux le fait qu'il soit intriguée par ce qui ressemble à une acceptation rapide du haut patriarche, chose à laquelle il ne s'attendait pas. Aussi, conservant son aplomb et sa déférence martiale, des précisions verbales ne se font pas attendre :

" Dans cette affaire, mes compagnons sont un maître des routes nommé Jérémiah Parécos, ainsi que sa fille. Je souhaite que les moyens directs et indirects dont dispose votre famille ne soient pas l'origine de déconvenue futures pour nos trois personnes.

J'espère par ces termes palier au manque de clarté de mes anciens propos, et, du sens que souhaite prendre le tranchant de mes lames. "

L'homme lion fait un effort pour taire une suite de propos, ravalant discrètement sa salive.  Le claquement tonique de talon qui suit et le geste du buste clôture la prise de parole, le Léodra restant respectueusement à la disposition de l'autorité dominante.

Le regard du vieillard a retrouvé de sa vivacité. Ce dernier s'accorde un léger sourire. Et il prononce ensuite de sa voix âgée :

"Soit. Cette affaire me parait maintenant plus claire.

Et qu'offrez-vous en compensation, Shaloar ?"

A nouveau, le Léodra ne perds pas de son aplomb déférent. Avant de poursuivre, il n'est pas trop compliqué de deviner qu'avant de s'exprimer, la langue du futur parleur tourne dans sa bouche à la recherche des bons propos et que la formulation qui vient va être délicate et osée :

" Il serait présomptueux de ma part de prétendre à une offrande d'intérêt pour votre grandeur. Bien que, si mon sens de l'observation ne me fait pas défaut, je le puis.

Cependant, ayant subit offense en votre demeure, je sollicite un droit à réparation. Voici la synthèse des faits vécus par ma simple personne.

Je suis entré en votre domaine de nuit, sans laisser passer, pour vous porter au plus vite l'information que vous venez d'entendre. Alors que d'autres possibilités d'actions s'offraient à ma personne, j'ai pris sur moi de venir à vous sans prendre le temps d'ajuster mes atours comme il se doit. Tenue que j'ai conservé présentement pour que vous puissiez juger par vous même. Je suis conscient de ce qu'il peut m'en coûter. J'ai estimé que le privilège de mener la chasse à ceux qui tente de vous infiltrer vous revenait de droit. J'ai donc agit au plus vite, en semant la majorité de mes poursuivants que trop nombreux en la cité, cherchant à éveiller le moins de soupçons possible autour de moi.

Le bon sens de vos d'armes m'a été favorable. Mais arrivé devant vos hommes en pagne, je n'ai pas compris le jeu de cours qui s'imposait à moi. Et la première salve verbale fut une insulte directe portant sur la couleur de mon pelage. Je demande donc à connaitre le nom de celui qui, par son verbe déplacé, m'a conduit au mutisme. Je demande aussi réparation de la part de cette personne par une faveur, une faveur sans limite de temps. Je demande aussi à ce que l'octroie de cette faveur soit connue de toute les personne de votre cours, celle de jour comme celle de nuit.

Je m'engage devant vous à ce que cette faveur ne soit en aucun nuisible aux intérêts de votre famille. "

Le ton assuré de la demande peut surprendre un homme de pouvoir. force, courage, dignité sont palpables dans mot. Ce n'est pas un claquement de talon qui fait suite au récit du messager. Le massif Léodra écarte légèrement les bras, les tendant légèrement en direction de de celui qui trône tel un roi, paume de mains ouvertes, prêt à entendre ou à subir avec une fière détermination la suite qui lui sera imposée.

Le sourire aimable du vieil homme s'accentue. Il laisse le silence s'installer pendant quelques instants pesants avant de répondre, en conservant son sourire :

"Je n'ai eu aucune mention de votre visite nocturne, ce qui indique son peu d'intérêt.

Quant à votre réparation envers un des mes serviteurs, vous en avez manifestement manqué l'occasion. Je n'ai pas pour habitude de corriger de mon temps et de mes efforts les travers de mes visiteurs."

Subitement, son visage se fait grave et sérieux. Il reprend après une très courte interruption :

"Vous ne m'apprenez rien, Shaloar.

Cette morte animée est pleinement détectée et observée. Et je vous prie de m'indiquer ce qui me vaudrait l'intérêt de laisser la vie sauve à un visiteur aussi indélicat, tel que vous."

Les huit guerriers font alors un pas en avant, armes prêtes.

" et vous l'avez laissé faire .!!!."

La voix du Léodra estomaquée est plus faible tant la surprise de l'information est grande à ses yeux. L'annonce d'une mort certaine, ce qui était envisagée grâce à l'annonce d'Afriz, n'est que secondaire par rapport à ce qui se dessine à l'esprit du sauveur de la cité.

" Grâce à l'issue favorable de la grande bataille, Tradisgantia bénéficie d'un sursis. Et vous, vous vous contenter d'observer celle qui aurait pu déclencher une nouvelle guerre. Mais... mais comment mon esprit de loyauté a pu me tromper à ce point vous concernant. "

Le guerrier désarmé regarde ses mains qui étaient tendues, décontenancé. Si le temps lui en est laissé, l'invité réalise maintenant que le patriarche a laissé faire la morte momifiée avec tout ce que cela sous entend. Retrouvant sa contenance, le Léodra affiche une froide dignité et annonce avec amertume dans la posture martiale de celui qui reconnait sa défaite :

" J'ai été prévenu qu'il fallait de méfier d'un homme de pouvoir, qu'il me fallait agir autrement. Mais j'ai tenue tête, j'ai défié mes alliées écoutant avec crédulité mon esprit de loyauté pour vous apporter cette information. Alors oui, c'est par mon esprit de loyauté que je vais au trépas cette fois. "

La froideur, l'amertume noue la gorge du noiraud et le conduit au mutisme. Avec le ressenti de celui qui s'est trahi lui même, les oreilles couchés de celui qui reconnait sa défaite, tout ce ressenti est véhiculé dans le regard qui, pour la première fois, fixe directement le Patriarche dans les yeux, attendant la sentence avec cette vaine mais présente promptitude à la réaction ne sachant que faire sur l'instant, mais refusant de céder à la panique.

Le vieillard regarde longuement le jeune Shaloar avec intérêt, sans rien exprimer d'autre. Puis il se permet un léger sourire :

"Allons, allons...

Est-ce ainsi que le Sauveur de la Cité espère tirer quelques apports de la part d'un Patriarche ?"

Aussitôt, les huit guerriers reculent d'un pas et reprennent une position de repos guerrier à leur place initiale. Les quatre prédateurs continuent d'observer l'homme-lion d'un regard vigilant, ne changeant pas d'attitude depuis le début de la rencontre.

Puis le vieil homme se renfonce plus confortablement dans son fauteuil, toujours nimbé d'une large colonne de lumière. Il retrouve dès lors une mine sérieuse et attentive.

"Ainsi donc, vous aviez des informations à me communiquer. Les avez-vous toutes transmises ?"

Tandis que le haut patriarche réfléchit silencieusement, le visiteur indélicat ne peut contenir des va et vient de sa queue tel un métronome. A chaque battement de queue dont l'amplitude est mesurée et contrôlée, le questionné retrouve une contenance porteuse d'une maturité, d'une détermination qui remplace de façon certaine la décontenance précédente, et ce, malgré le doute qui vient de l'envahir.

Quand le Patriarche en a terminé avec sa dernière question, le silence perdure pour cause de dilemme. Le messager aux yeux plissés de réflexion maudit son manque de connaissance  des hommes de pouvoir et de leur comportement. Il maudit aussi cette simple image d'un vieil homme qui lui est envoyé et qui le prive de sens.

La queue bascule d'un côté : pourquoi le Patriarche a t'il laissé la morte momifiée utiliser les moyens de la famille en connaissance de cause ? Pour le noiraud, même un Skraka ne se hasarderais pas à déclencher une seconde guerre aussi rapidement dont il sortirait perdant et en se mettant tous son territoire à dos.

La queue bascule de l'autre côté : Le patriarche est-il l'auteur de cette mascarade ? A t'il des contre-mesures face à ce qui pointe sa famille du doigt ? Déplacé mais pas impossible quand on connait le phénomène.

La queue bascule d'un autre côté :  Le Patriarche n'est informé que partiellement des faits et gestes de la morte momifiée, ou que depuis peu, alors, il n'avouera jamais son ignorance.

Autre mouvement de balancier de la queue : Si le messager raconte l'histoire dans son entier, alors par ses connaissances, il devient une menace. Mais l'amorce de l'histoire étant déjà placée, autant la terminer.

Mouvement de queue : Comment faire accepter au patriarche que sa famille est manipulé par des plus puissants.

Balancement de queue : Et quelle genres d'informations veut réellement l'homme de pouvoir  qui ose réclamer quand on vient pour lui éviter une déconvenue en ne demandant que de la tranquillité en échange. Ce qui est désolant, c'est que ce mode de comportement ne vaut pas mieux que celui des véritables ennemis de la citée. Mais quand on peut se le permettre, pourquoi s'en priver.

Sur cette dernière réflexion, une pointe de sourire carnassier se dessine sur le visage de l'homme lion réflexif au point que l'idée de défier la mort une nouvelle fois a disparue.

Soudain, l'ouragan de réflexion silencieuse disparaît. Le léodra pose question sans même penser à ce qu'il dit, tandis que les mouvements de queue cessent :

«  Pour vous répondre j'ai besoin de savoir depuis quand vous disposez de cette information.

Et faites moi apparaître une carte des terres plus ou moins connues. Vous voulez de l'information, je vais vous en servir une. »

Le vieillard conserve un visage attentif. Il répond après avoir laissé passer quelques lentes secondes. Sa voix âgée ne soutient qu'insuffisamment le sérieux qu'il manifeste :

"Je suis informé de la présence de cette morte-vivante depuis son arrivée au sein de mon quartier."

Son regard intense continue de fixer attentivement le jeune Léodra. Puis il lève lentement le bras droit et claque des doigts de sa main levée.

"Faites mener une carte des terres connues."

Il repose ensuite son bras, plaçant son coude sur l'accoudoir et joignant ses mains. Il patiente ensuite sans bouger et sans mot dire jusqu'à ce que deux serviteurs humains viennent placer devant Grage une petite table d'un mètre cinquante sur un mètre. Sur cette table se trouve une carte détaillée des régions autour de Tradisgantia, la grande cité et toutes les autres villes - dont deux citadelles au sein des Fiefs des Seigneurs de l'Entropie, ainsi que les cités de la Plaine des Cendres, des Terres Brisées, de l'Empire Kosruuzi, du Karnazad, Fort-Braise et les deux tours jointes par un pont, habitées par les Gardes Aveugles  - y sont représentées par des statuettes rappelant l'architecture de chaque lieu. La statuette centrale, Tradisgantia, est la plus volumineuse. Il va sans dire que les différentes villes sont représentées bien plus grosses qu'à l'échelle.

Les serviteurs se retirent prestement une fois le meuble placé devant l'homme-lion. Ils contournent la zone éclairée contenant le fauteuil du Patriarche et disparaissent hors de vue, camouflés par l'intense illumination du siège surélevé.

Le vieil homme a alors un sourire aimable quand il déclare :

"Voici. Je vous écoute."

Le temps que les serviteurs apportent la table-carte, l'homme-lion continu de fixer le Haut Patriarche les yeux plissés. S'estimant condamné, le Léodra conserve une attitude digne, les bras le long du corps, les yeux plissés d'attention et de réflexion.

" Plus la montagne est grande, moins le sommet est visible.

Vous avez donc laissé faire. Laissé ce colis piégé, expédié par votre neveu, partir vers son destinataire, le roi du Karnazad. Cette possibilité n'a même pas effleuré mon esprit.

Ce trouble fait de Maître des routes doit maintenant être châtié pour avoir eu le mérite de sauver sa peau et... - avec un sourire carnassier  le temps de la dernière réplique - et il en sera de même pour le second gêneur au pelage noir. C'est petit carnage se dessine si vous décidez d'éliminer toutes les personnes informées, y compris dans vos rangs d'ailleurs.

Ah... "

Le guerrier fixe la carte une fois placé devant lui.

" Joliment orné, mais sommaire. Je vais faire avec. "

Puis le regard est de nouveau porté sur le Haut Patriarche.

" Cependant, quoi que je vous dise, je dois subir le même sort que ce Jérémiah Parécos et sa fille. Alors, pourquoi devrais-je ouvrir volontairement une porte de ma mémoire sur un point de cette carte ? Point qui pourrait vous indiquer l'emplacement d'un édifice des temps anciens, si cette information vous intéresse, bien sur. "

Lorsque le grand Léodra mentionne un colis piégé, le vieillard lève un sourcil. Qu'il rebaisse pendant la suite du discours. Il écoute l'homme-lion sans mot dire, toujours aussi attentif.

Le vieil homme lève ensuite une main, dédaigneux.

"A moins que ma mémoire me fasse défaut, il me semble que c'est vous qui avez demandé une carte. Il vous reste à rendre cette demande utile."

Le Patriarche ramène sa main sur l'autre, reposant son coude sur l'accoudoir.

Ensuite, il se remet à parler avec un accent de lassitude.

"C'est par vos actes et vos paroles, Shaloar, que vous indiquerez s'il est plus sage de vous laisser la vie sauve. Il est, ma foi, fort épuisant d'avoir à le signaler."

Le haussement de sourcil du vieil homme n'est pas tombé dans les yeux d'un aveugle. Ce détail perçu dénote t'il d'une surprise due à l'ignorance de la présence d'un colis piégé, ou, que le parleur dispose d'une information qu'il ne devrait pas avoir. Quoi qu'il en soit, suite à cette vision, de trop nombreuses possibilités de félonie se présentent à l'esprit du messager qui reste, cette fois ci, concentré. Un très léger mouvement de tête du haut vers le bas est suivi d'un silence avant que le Léodra se décide à poursuivre sur son esprit de loyauté, et considère maintenant que la Patriarche n'est en rien complice de cette action.

La fin des propos de l'homme de pouvoir faisant comprendre au blagueur qu'il est des personnes en ce monde avec lesquelles toutes formes de jeu est à proscrire.

Le temps de mettre de l'ordre dans ces propos et l'ex lieutenant se décide d'exposer les faits façon martiale :

" Tout a commencé il y a moins d'une dizaine de jours maintenant, par le sauvetage d'une fillette. Les moyens mis en place pour capturer la pauvrette m'ont semblé démesuré. Nombreux hommes d'armes faisant la queue pour comparer leur virilité, un démon volant... Curieux, je suis intervenu. C'était en limite du territoire amazone, ici. "

Sans toucher la carte, le parleur indique l'endroit en limite du territoire Amazone ou sa première rencontre avec la jeunotte s'est déroulée dans un bain de sang.

" Fillette qui n'était autre que l'enfant de Jérémiah Parécos. S'attirer les faveurs d'un maître des routes m'est apparu comme une aubaine pour le chasseur et voyageur que je suis. L'enfant m'a précisé que son père était en difficulté. Aussi, je l'ai pisté.

Quelques jours après, tandis que je quittais la cité avec de premières réponses, j'ai subi une déconvenue avec quelques brigands. C'était pendant cette forte tempête qui a réveillé des vers des sables démesurément larges. L'issue de cette rencontre m'a été favorable et j'ai hérité d'un croquis de ma personne au fusain avec la mention Vivant. J'en ai donc conclu que j'étais sur la bonne piste, mais qu'il me fallait être vigilant. C'est à cet instant que j'ai compris que cette aubaine avait son prix.

Trouver le maître des routes fut une formalité. Le pauvre était dans un piteux état, blessé, sous alimenté, mais vivant. Et dans ce piteux état, détenant sa fille, il s'est confié. C'était... »

A nouveau le voyageur utilise, fait un tracé partant de la cité qui le conduit approximativement plus au nord de l'endroit et en retrait de l'endroit ou il a été retrouvé. Un endroit que le voyageur connaît et rend ses dires probables pour un adepte de la survie, en sachant que le Patriarche pourra vérifier une partie des propos quand il mènera sa propre enquête, s'il le fait.

«  Je suis revenu en la cité avec une nouvelle piste. Nicolo Sarzano a voulu engager un Maître des Routes pour guider un convoi jusqu'à Karnazad. Jérémiah Parécos a été affecté à ce convoi. Le Maître marchand du convoi devait offrir un présent au roi du Karnazad. Et ce colis était piégé. Un gaz mortel qui, sans aucun doute, n'aurai jamais atteins sa cible. Par contre, la colère du roi, elle, aurait été fatale pour l'ensemble du convoi et bien plus.

Autant il m'a été facile de comprendre que votre neveu n'aurait jamais ourdi un tel plan de façon aussi grossière, autant il m'a été délicat de remonter jusqu'à cette morte momifiée. La suite veut que je sois présentement en face de vous. »

Sans se défaire de son regard attentif, le sauveur se redresse respectueusement pour marquer la fin de son récit.

A nouveau, le vieil homme écoute attentivement le jeune Shaloar, l'observant avec autant de vigilance. Au terme du récit, la main droite du Patriarche se pose sur son menton quelques instants, avant de reprendre sa place, jointe avec l'autre main. Le visage et le regard du vieillard expriment alors une dureté inflexible. Qu'il conserve lorsqu'il reprend la parole de sa voix âgée sur un rythme lent :

"Et, Shaloar, qu'est-ce qui vous incite à comprendre que mon neveu n'aurait jamais ourdi un tel plan de façon aussi grossière ?"

Le questionné conserve son regard attentif, même si la remarque du Patriarche est juste et fondé de sens. Cependant, la réponse presque spontanée du Shaloar ne se fait pas attendre. Presque, car désavouer sa propre famille même par un questionnement, devant un étranger, ne laisse rien présumer de bon.

" De prime abord, il porte votre nom, ce qui conditionne mon jugement, je vous l'accorde volontiers. Et en tant qu'ex lieutenant, je sais que vos moyens sont d'une efficacité redoutable. Ma présence en ce lieu prête à question.

Ensuite, et avant d'arriver jusqu'à vous, si un membre de votre cours se montre suffisamment subtil pour agir à votre insu, c'est que cette subtilité peut se décliner dans le reste de ces actions. Car à aucun moment, et même encore présentement, je me refuse d'accepter l'idée que vous ayez laisser faire. "

A nouveau, d'un léger changement de posture digne, le Léodra montre qu'il en a terminé.

Le regard du vieillard exprime sa dureté pendant tout le discours du jeune Shaloar. Ensuite, il se détourne et se teinte de lassitude. Enfin, il se braque à nouveau sur le grand visiteur, blasé. Là, le Patriarche prend la parole de sa voix âgée :

"Croyez-vous donc, Shaloar, que je m'informe en détail du contenu de chaque caravane et de l'intention de chaque fournisseur ? Cela me prendrait plus de temps que celui disponible."

Il garde ensuite le silence un court instant, amenant à nouveau sa main droite à son menton. Puis il repose cette main sur l'autre, les coudes bien calés sur les accoudoirs.

"Au risque de grandement vous décevoir, Nicolo m'a déjà prouvé maintes fois qu'il n'était qu'un idiot. Mais un idiot peut néanmoins acquérir des richesses, s'il fait ce qui lui est dit.

Il faut donc croire que son oreille écoute désormais la mauvaise personne. Une personne qui a su se montrer discrète jusqu'à présent.

Sauriez-vous apporter des preuves de l'implication de cette personne dans cette affaire, Shaloar ?"

La colère de l'homme de pouvoir est placée sur le compte de la déception. Et la façon dont le neveu du Patriarche est dépeint ne fait que confirmer cette hypothèse chez le questionné. La sincérité dont fait preuve le Patriarche, sincérité qui pourrait conduire l'ex-lieutenant droit à une mort certaine, est reçu comme un privilège, ce qui peut se percevoir.

Cependant, l'embarras est de répondre correctement pour faire honneur à cette confiance. Conservant cette attention visible, le Léodra opine à nouveau du chef, de façon quasi imperceptible avant de répondre avec circonspection.

" La réponse est délicate, Haut Patriarche. Nous parlons d'influence et jamais je ne me permettrais de m'immiscer dans les affaire de votre famille.

Et je me doute bien que votre temps est précieux. Je ne peux blâmer non plus les hommes de mains qui sont chargés de la protections de votre neveu. Ceux-ci doivent préférer obéir sans s'attirer le courroux de Nicolo.

Les différents intervenants dans cette affaire laisse à penser que votre Neveu a au moins eu le bon sens de compartimenter les différentes actions, à moins que cette stratégie ne lui ait été soufflée. Cela ne facilite pas la tâche de ceux qui vous sont loyaux autrement que par l'argent ou le prestige, et qui auraient pu vous prévenir.

Le fait que Nicolo soit constamment sous influence, puisque tout lui est dicté, est une complexité supplémentaire.

Cependant, je vous affirme présentement que c'est bien cette morte sur patte - Le Shaloar prononce ce terme avec un dégoût certain - la favorite de Nicolo qui lui a soufflé l'idée du cadeau empoisonné. "

Juste après ces propos, le Léodra affiche le sourire carnassier de celui qui veut en découdre avec une idée derrière la tête.

" Il se peut que cette infamie commette une erreur en apprenant ma visite. J'ai été discret pour les indésirables qui me suivent avant de venir à vous. "

Le vieil homme soupire après avoir attendu quelques courts instants au terme des paroles du jeune Léodra. Puis il reprend une expression fière et impassible pour déclarer de sa voix âgée :

"Je constate donc qu'aucune preuve ne m'a été proposée, Shaloar.

Le plus simple est donc de provoquer la confrontation des parties impliquées."

Il frappe alors bruyamment dans ses mains à trois reprises. Venant de derrière lui, un individu maquillé et lourdement vêtu d'apparats colorés se presse de le rejoindre, ne dépassant néanmoins pas le rythme de la marche rapide. Sitôt qu'il se trouve en vue sur le côté des marches enluminées, restant à l'extérieur de la zone éclairée, l'homme lourdement habillé s'incline.

Le Patriarche dit alors avec une autorité glacée :

"Faites mener devant moi mon neveu Nicolo et sa favorite. Je veux les deux ! Et inutile de leur donner la raison de mon désir."

L'homme maquillé se redresse, s'incline à nouveau puis se dirige à grand pas vers la porte de sortie, passant sur la gauche de Grage, derrière les hommes d'armes.

Tout se déroule très vite dans l'esprit de l'invité. Tout d'abord, la confrontation est fortement appréciée et presque vécue comme une faveur octroyée pour une fin honorable dans un combat. Seule la présence requise du neveu est perçu comme une gène, mais peu importe. Si le Patriarche pense se débarrasser de son neveu grâce à cette confrontation, il se trompe.

Avant même que l'individu maquillé et lourdement vêtu ne se soit éclipsé, le Shaloar fronce les sourcils, le regard toujours plissé, attentif. Avec un timbre de voix plus sourd, plus grondant et surtout déterminé :

" Enfin ! Merci pour cette faveur. Je n'ai que trop attendu. J'ose espérer que cette infamie viendra, même si vous omis son nom. "

Sur ces dernières paroles, l'ex-lieutenant sans arme attrape son casque et l'enfile. La suite sont les gantelets si rien ne s'y oppose. Tout en ajustant sa tenue, un guerrier peut aisément deviner que ce qui devient subitement une arène est mesurée en étant balayé du regard avec une tête et un buste qui pivote et observe différemment les lieux.

L'individu maquillé continue son périple sans prêter attention aux mots de l'homme-lion. Il sort de la pièce et referme la porte d'entrée alors que le massif orateur n'a pas terminé ses phrases.

Le vieil homme assis sur son trône observe le jeune Shaloar remettre son casque, en levant un sourcil. Les huit combattants avancent d'un pas, les mains sur les armes. Quand Grage s'apprête à mettre ses gantelets, le Patriarche prend la parole avec une fermeté trahie par le ton âgé.

"Shaloar, retirez ce casque. A moins que vous ne vouliez combattre, et ce serait alors contre mes gardes."